GR20 | Fra li monti *
* GR20 | à travers la montagne
170 km / 12000m D+ / 8 étapes
Vous préparez le GR20 ? La carte topo Haize est disponible ici > Haize GR20
Sans vraiment savoir de quoi il en retournait, cela faisait déjà un bon moment que ce GR me trottait dans la tête. J'avais vu beaucoup de photos, entendu beaucoup de personnes qui l'avaient fait et compris que l'itinéraire était un peu technique.
Fin juillet Benjamin me demande si je suis disponible fin Août, pour faire le GR20.
Rien de prévu ! Il y a encore du boulot au Pays Basque, mais quand une belle perspective se présente, mieux vaut s'y engouffrer. Seule contrainte, Ben doit être à Bastia le samedi 28 Août et moi je ne veux pas partir deux semaines. Entre l’écriture d'Haize vol.3 et Etxe Bihia ce serait trop long.
On trouve un vol Biarritz/Bastia du 19 au 30 Août et on se met en tête de marcher huit jours. Comme à mon habitude je sors les cartes, je regarde rapidement sur le Net et je me rends compte en refaisant les itinéraires sur Komoot, que distances et dénivelés sont sacrément conséquents. Faire le GR 20 en entier, sur huit jours me semble audacieux. Ben lui, comme à son habitude est confiant “ça passe tranquille, on va le faire” et moi, un peu plus pessimiste “si on veut en profiter, il faut peut être ne faire que la moitié !” En faisant quelques courses pour du matériel, je discute avec un ancien collègue qui me confie l'avoir fait en sept jours. Dans l'avion j'ose rouvrir le débat et bien sûr, Ben saute sur l'occasion “tu vois, c'est sûr, en huit on le finit !” en même temps, si je tends le bâton… Et puis, même si je ne suis pas un grand compétiteur, je crois que mon orgueil me titille un peu.
Seul bémol avant de partir, pas de bouteille de gaz dans l'avion et nous arrivons à 19h40 à Bastia. À cette heure tous les commerces seront fermés et nous avons décidé de commencer le chemin le soir même à la frontale. Tant pis, j'ai entendu dire qu'on pouvait trouver des bouteilles dans les refuges.
19h40, on sort de l'avion et la chaleur sèche de la Corse nous enveloppe. Le taxi nous attend et il nous faudra bien une heure et demi pour rejoindre Calenzana, point de départ du GR20. Dans le taxi, le chauffeur prend une conversation téléphonique et explique à son interlocuteur qu'il nous amène au départ du GR. A l'autre bout, l'homme propose en riant de commencer à la frontale, à quoi le chauffeur répond que c'est bien là l'idée. Blanc.
20h30, le taxi a eu le pied lourd. Tant mieux, nous sommes déjà “crevés” par le voyage et nous avons envie de nous coucher. Première action, répartir les repas et le matériel entre nos deux sacs. À la lumière d'un réverbère, entre les vieilles maisons de pierre beige, on sort tout de nos sacs et on étale nos affaires dans la petite rue. En faisant le compte des repas lyophilisés, on se dit qu'on est un peu juste, tant pis, on verra bien.
21h, on quitte les lumières chaudes de la ville pour s'enfoncer dans le maquis Corse. Les odeurs me rappellent mon adolescence en Vendée, où dans les dunes pousse l'immortelle, une plante à l'odeur qui rappelle le curry. Après trente minutes, on trouve un replat qui domine le petit village. La lune est pleine et nous éclaire fort, nous empêchant presque de nous endormir, mais le voyage a été long, on tombe comme des masses.
01
Calenzana _ Ortu di i Piobbu _ Carrozzu
20 km / 1920m D+ / 10h
6h30, On commence cette première journée dans les nuages et ce n'est pas plus mal. Par la suite, on connaîtra des journées sans vent, en plein soleil à près de trente degrés, donc un peu d'ombre est la bienvenue. D’abord le maquis Corse et ses bonnes odeurs, puis on attaque la forêt de pins. Ici, le Pin Laricio, espèce endémique de l'île, semble bien se plaire sur les hautes montagnes. De la famille du pin noir, le pin Laricio peut atteindre cinquante mètres de hauteur et nous sommes surpris du diamètre de certains. Pouvant vivre plusieurs centaines d'années, certains doivent atteindre les deux mètres d'envergure. Leur écorce forme de grosses pièces grises, très graphiques et avec ces nuages qui créent un brouillard fin, l'ambiance est belle.
Premier col et l'on passe tout juste au-dessus de la mer de nuages. À l'est, elle semble s'être entièrement dissipée, nous offrant une sacrée vue sur la Méditerranée, au nord, quelques villages en contrebas et au sud le début de la haute montagne. Oui, haute montagne ! Je suis surpris du profil de ces dernières. Avec un point culminant à 2706 m, le Monte Cinto, la chaîne Corse est impressionnante, offrant au nord de l'île des paysages ciselés par des profils rocheux acérés. Et ce ne sera pas pour nous déplaire, autant au niveau photographique que “crapahutage”. En observant cette première pause, on rencontre un homme qui a bivouaqué ici, il me dit regarder depuis un bon moment un jeune faucon chasser, j'ai le temps de m'approcher pour prendre quelques clichés. Perché sur son rocher, l'animal ne semble pas du tout dérangé par ma présence, il reste concentré sur le sol, veillant au moindre mouvement. Après quelques minutes, deux sportifs sortent de la montée, ravitaillement en eau, barres de céréales et on sent que ces derniers veulent discuter
Vous commencez vous aussi ?
Oui
Et vous allez le faire en combien de jours ?
Aucune idée, on sait même pas si on va aller au bout.
Ha ok.
On comprend que certains viennent sur ce GR pour leur propre performance et comme ces deux là, ils calculent à la minute prêt leurs temps de passage. En juin dernier le record a été battu, abaissant à 30h25 le temps pour traverser ces 170 km et plus de 15 000 m de dénivelé positif. Une hérésie, lorsque votre credo est la contemplation.
Aller, reprenons doucement la route, il nous reste 5 km jusqu'au refuge d'Ortu di u Piobbu et le GR donne directement le ton. D'une sente plate et sans entrave, on passe à un chemin de pierres, puis à des ascensions où l'on doit mettre les mains et enfin à utiliser des chaînes fixées dans la roche pour grimper. Sympa ce genre de passage, même si avec un sac d'une quinzaine de kilos il faut être attentif. On se dit alors que la suite doit nous réserver de belles surprises.
11h30, arrivés au refuge, on commence à discuter avec le gardien.
Vous restez ici ?
Non ! On fait une pause et on repart.
Ok, mais c'est loin vous savez, le bivouac sauvage et les feux sont interdits dans le parc.
Ha, ok …
On avait prévu de dormir à la belle étoile et les jours de pluie de tendre le tarp. Tant pis, on avisera. Cela fait 5h que l'on marche et les estomacs se creusent. Par chance, dans la cuisine d'été nous trouvons une bouteille de gaz. Tous les randonneurs ont accès gratuitement à ces cuisines. Ce refuge étant aussi le dernier refuge pour ceux qui viennent du sud, certains se délestent du superflu pour reprendre l'avion. Et en plus, il y a des poubelles ! Un luxe quand on est habitué à tout ramener avec soi. Purée façon hachis parmentier, pomme-banane façon crumble, quelques barres de céréales, un thé, une sieste, presque une balade de santé cette histoire ! Quatre heures plus tard nous voilà «frais» et d'attaque pour reprendre la route.
15h30, On reprend le chemin à travers la forêt. Les pins Laricio sont toujours omniprésents et à part quelques bruyères sauvages et beaucoup de genévriers aux baies bleues-noires, le résineux semble être le roi du nord.
A midi, j'avais repéré la suite sur la carte et j'avais notifié une belle portion rocheuse sur environ 5km. Déjà on prend 300 m d'altitude par des chemins similaires à ceux du début. On remet les mains, on enserre les chaînes et nous voilà arrivés sur un col à la vue imprenable. De là on voit toutes les strates de montagnes qui se superposent et je vois déjà le potentiel photographique lorsque le soleil viendra à décliner. Ici la végétation se fait rare, les pentes étant très abruptes, seuls quelques pins font de la résistance, poussant sur de petites plate-formes au milieu des parois, cela crée de magnifiques scènes graphiques. Depuis ce mirador, on essaie de distinguer le chemin qui file sur cette suite rocheuse. Impossible d'accrocher l'oeil sur un potentiel chemin, il faut suivre les traces, point. S'ensuit une enfilade de pierriers, escalade entre les éperons rocheux, désescalade et malgré un balisage très bien réalisé, il nous arrive de prendre des chemins de côté. Parfois trop focalisés sur nos appuis, on passe à côté des traces et on se retrouve dans des chemins de chèvres.
On mettra plusieurs heures à passer cette portion et aux alentours de 19h30 nous voilà au col, en dessous de la punta Ghialla. Encore une heure de descente pour atteindre le refuge et “bon dieu” qu'elle fut longue cette descente. Nous sommes fatigués et les pieds glissent sans retenue sur le pierrier. Le soleil aussi est fatigué, il se couche doucement et comme je l'avais vu plus haut, l'endroit offre des scènes magnifiques pour quelques photos. Les pins se dessinent en ombres chinoises sur les parois qui commencent à se réchauffer aux lumières du couchant. Soudain un bruit m’interpelle. Ce n'est pas le vent, c'est plus gros, ça tire sur le feuillage. À quelques mètres, deux mouflons s'alimentent. Ils se dressent sur leurs pattes arrières et d'un coup sec, tirent sur les feuilles. Une fois sur leurs quatre pattes ils nous regardent passer en mâchant tranquillement.
20h30, il fait presque noir, les randonneurs sont pour la plupart déjà couchés, certains se brossent les dents. Les douches sont éloignées du refuge et on ne sait si ces dernières sont libres d’accès comme les cuisines. Plus tard on comprendra que oui, seulement si on veut de l'eau chaude, il faut payer. De l'eau chaude ? Pouvoir se laver est déjà un sacré luxe ! Et puis l'eau froide favorise la récupération ! Propres comme des sous neufs, nous nous éloignons doucement du refuge pour trouver le parfait spot où faire à manger et dormir.
22h, nous nous endormons sous un gigantesque pin centenaire.
02
Carrozzu _ Asco _ Pointe des éboulis
10 km / 1870m D+ / 10h
6h, on reprend le chemin et aujourd'hui on attaque déjà le sérieux, puisque sur notre itinéraire se dresse le toit de la Corse, le Monte Cinto, et on compte bien se l'offrir. On commence à la frontale comme la veille et la traversée du pont de singe métallique offre de jolies scènes à photographier.
On reprend les mêmes caractéristiques qu'hier, on pose les mains, on se hisse grâce aux chaînes et après quelques kilomètres on atteint le lac de Marvella. D'ici on surplombe la Méditerranée avec au loin, coincée entre deux escarpements rocheux, la ville de Calvi. C'est beau, les premiers rayons réchauffent la scène et nous, nous nous réchauffons les mains avec le café du petit déjeuner. Encore un petit effort et nous voilà au col sous la pointe Marvella, ici on laissera nos sacs pour monter plus vite sur l'aplomb le plus proche. De là, on observe le second col à franchir, des chèvres en sortent à la file indienne et nous en profitons pour prendre des photos. La liaison entre les deux cols se fait rapidement et nous rencontrons une randonneuse qui nous partage son expérience. Il paraît qu'au sud il y a de belles variantes à prendre et notamment les Aiguilles de Bavella. Nous en prenons bonne note et nous amorçons notre descente vers le refuge / station de ski d'Asco.
10h30, nous arrivons au refuge d'Asco et nous reprenons nos habitudes. Déjeuner, sieste, lecture, j'en profite pour faire ma lessive et discuter avec le gardien qui nettoie les tentes.
Je peux étendre ma lessive sur le fil ?
Bien sûr, vous restez pour la nuit ?
Non, on va pousser.
Vous êtes sûrs ? Vous avez mis combien de temps depuis Carozzu ?
Je sais pas, 5h je dirais.
Et tu fais ta lessive et vous voulez repartir ? ! C'est loin tu sais et le bivouac sauvage est interdit.
Ok, je vais voir.
15h30, on a acheté un beau saucisson et malgré les avertissements du gardien nous voilà repartis sur le GR20. On compte bien dormir au plus proche du monte Cinto pour raccourcir l'ascension du lendemain. Je comprend la restriction sur le bivouac, si tout le monde posait sa tente n'importe où, ce serait un sacré bordel et puis l'impact sur la faune et la flore en serait conséquent.
On se rassure en se disant qu'à 2600 m l'impact sur la faune et la flore devrait être quasi nul. À cette altitude, pas un brin vert et rien à y faire pour les animaux. Et puis disons le, il y a le bon et le mauvais “bivouaqueur”. Le mauvais “bivouaqueur” il voit une place, il la prend, c'est le mauvais “bivouaqueur”. Le bon ''bivouaqueur'' il voit une place, il la prend, mais bon … c'est le bon “bivouaqueur”. Trêve de plaisanterie, chez nous pas de tente, pas de campement digne de ce nom. Matelas et duvets sont posés après le coucher du soleil et retirés bien avant qu'il pointe son nez. Une façon de ne pas trop s'approprier le lieu et de réduire l'empreinte de notre passage.
Mais d’abord il reste du chemin et encore du caillou à grimper, des chaînes à enserrer et du pierrier à défier. Sur le chemin on croise un couple d'Allemands et là on prend conscience que, ce qui est un jeu pour nous, ne semble pas drôle du tout pour certains. La femme d'une cinquantaine d'années semble quelque peu stressée par cette descente. En attendant au pied de la chaîne, je la vois effectuer des gestes brusques et j'ai peur quelle glisse malgré la chaîne. Je lui lance «doucement, mais sûrement» d'un ton calme et avec le sourire, ce qui lui déclenche un rire nerveux. Là où on mettra quelques secondes à franchir le ressaut, il lui faudra bien une minute pour trouver les points d'appui et progresser une prise de main après l'autre sur la chaîne. Finalement tout se finit bien et nous pouvons continuer.
Après 900 m de dénivelé positif nous atteignons le lac d'Argento. Je suis à la ramasse, comme toute marche au long court il y a des moments de mou. Ben à pris de l'avance et je le vois déjà sur un rocher en train d'admirer le paysage, alors que je trime encore dans le pierrier en contrebas. Je suis fumé, je resterais bien à camper là, mais comme à son habitude Ben pousse et veut aller au col plus haut. Je sais qu'il a raison et que de là-haut, non seulement on se rapproche du Cinto, mais en plus on aura une vue sur le coucher de soleil qui devrait valoir le coup.
20h, nous voilà au col et le soleil commence déjà à donner de ses couleurs. On prend le rhum, le saucisson et tout ce qu'il faut pour le repas. Quatre à quatre nous rejoignons le sommet de la Pointe des Eboulis et nous voilà en place pour le spectacle. Ici on aura notre plus belle vie de tout le trek. Apéro coucher de soleil, repas déshydraté avec vue et thé fumant en observant le lever de lune qui rougit. En rigolant, on se demande ce qu'on fout ici, alors qu'on pourrait être là bas, à Calvi dans un bar au bord de l'eau, une Pietra à la main à discuter avec de jolies brunes. Mais on sait la chance que l'on a d'être ici et pour rien au monde on changerait d'avis.
21h, les frontales s'allument et il est l'heure de mettre la “viande dans le torchon”. Les étoiles filent sous la pleine lune et cette dernière nous regarde nous endormir.
03
Monte Cinto _ Tighiettu _ Cittulu di i mori
15 km / 1740m D+ / 10h
5h, on engloutit le petit déjeuner et on se met en marche. Pas si facile cette ascension, moi qui pensais y arriver en une dizaine de minutes il nous faudra une bonne heure pour rejoindre le sommet. Le chemin étant une succession d'escalade, désescalade, avec en prime un balisage approximatif. Mais le jeu en vaut la chandelle, au sommet c'est un 360° qui s'offre à nous.
Du Cap corse à Bonifacio, d'Ajaccio à Bastia, on a la Corse à nos pieds et le soleil levant pour sublimer le tout. Voir la mer briller dans les premières lueurs, les voiliers qui semblent survoler la masse liquide et les îles satellites encore enveloppées de brume, l’instant est mémorable. Qui plus est, nous sommes les seuls au sommet, pas un bruit pour entraver ce lever de soleil. On resterait bien là des heures mais il faut avancer. Une demi heure plus tard c'est le moment de redescendre et de rejoindre nos sacs laissés au col. La journée va être longue et on sait plus ou moins qu'avec cette ascension non prévue on va devoir rattraper le temps passé.
8h30, on redescend sous la Pointe des Eboulis pour rejoindre la Bocca Crucetta, un col qui surplombe le lac Cinto et offre une belle vue, entre mer, strates de montagne et lacs. Puis on bascule dans la vallée du prochain refuge. Ici le paysage est lunaire, nous rappelant les images des montagnes afghanes ou pakistanaises. La pierre est rougeâtre et le chemin dessine un long ruban clair qui s'enfonce loin dans la vallée. Encore de la poussière et du pierrier qui roule sous les pieds. Après 2h de descente on retrouve la végétation et quelques baignoires naturelles font leurs apparitions. Ben en profite pour prendre un bain, moi je suis toujours frileux à l'idée de rentrer dans cette eau glacée.
11h30, on a finalement dépassé le refuge de Tighiettu pour prendre la pause de midi à l'ombre des pins de la bergerie de Ballone. Et là, on a trouvé le meilleur spot à sieste de tout le GR. Un abri de pierre, logé entre deux pins où l'on trouvera un sommeil léger, mais réparateur au son des douces bourrasques qui s'engouffrent entre le branchage.
15h, nous voilà repartis pour un bon quatre heures de marche et 600m de dénivelé positif. Le soleil tape fort et le vent s'est calmé. Nous croisons à nouveau plusieurs baignoires naturelles et cette fois-ci je n'y coupe pas. Par presque 30° sans vent, un bain glacé vous fait repartir comme neuf ! Bien qu'après 30min nous soyons à nouveau transpirants, mais c'est bon pour le mental. Plus loin on croise un couple qui nous informe qu'au prochain refuge il n'y a plus d'eau. Pour en avoir parlé auparavant avec un gardien, cet été est un peu exceptionnel car les orages de fin de journée caractéristiques de la période sont absents cette année et donc plusieurs cours d'eau et sources se tarissent rapidement. Heureusement on a pu recharger plus bas et on devrait trouver de l'eau dans la prochaine vallée.
18h30, arrivés au refuge, la gardienne nous saute dessus pour nous demander si on a réservé et nous informe qu'il n'y a plus d'eau. Pas de problème M'dame, on continue ! Cette fois pas d'objections, on nous laisse continuer où bon nous semble sans avertissement. On va donc profiter du cours d'eau plus bas pour s'avancer sur le chemin de demain et trouver la bonne place pour bivouaquer. «Cette fois c'est pas de notre faute M'sieur le gardien, y avait plus d'eau au refuge !» dans la descente Ben me stop net pour me montrer quelque chose. Un groupe d'une douzaine de mouflons, remonte le versant opposé. Je suis mort et j'ai la flemme de sortir mon téléobjectif, mais après quelques minutes les petits potes sont toujours là, remontant tranquillement. Je fini par céder et on reste quelques minutes à les observer et les shooter.
19h30, on atteint le spot parfait, une dalle de roche bien plate juste à côté d'une grande baignoire. Bain, étirements, dîner, dodo. Finalement ce n'était pas le meilleur spot … toute la nuit le vent qui s'engouffre dans la vallée nous souffle au visage et nous réveille au passage. Ce ne sera pas la meilleure nuit, mais demain sera peut être meilleur.
04
Cittulu di i mori – Castellu di Vergio – Manganu – Petra Piana
28 km / 1490m D+ / 10h
5h30, après un sommeil peu réparateur, c'est les paupières lourdes que nous repartons vers Castellu di Vergio. Ici nous trouvons une nouvelle station de ski et surtout un vrai petit déjeuner. Pain, beurre, confiture, chocolatine, café, même si le moral va bien, ça va encore mieux ! Et en prime ils prennent la carte, tant mieux il faut que l'on veille au peu de cash qu'il nous reste. Sur le comptoir je trouve une petite carte très bien faite du GR20. Ce sera l'attraction de notre petit dej' et heureusement qu'on l'a trouvée.Tout y est détaillé, itinéraires, temps, étapes, tracés et on se rend compte que le Monte Cinto nous a pas mal mis dedans. Il va falloir cravacher pour finir en huit jours. Nous doublons déjà toutes les étapes, mais malgré tout il va falloir tripler, ou bien chaque jour grappiller un peu plus sur les étapes d'après.
8h30, départ de la station et après avoir bien regardé le parcours, je sais que nous avons un chemin à peu près «plat» devant nous. Tout de même, 650 m de dénivelé positif, mais répartissur 16 km. Il nous faudra seulement 3h30 pour avaler cette portion, marchant à une allure qui me laisse à peine le temps de prendre des photos. Par chance, les milieux traversés sont quelques peu monotones. Bien sûr, les forêts et les grandes étendues herbeuses qui ressemblent aux steps mongoles sont de charmants paysages, mais au bout de quelques kilomètres, lorsque l'on est concentré sur sa marche, ça devient vite redondant.
Il y a tout de même une jolie attraction sur le chemin, au lac Nino, les fameux pozzines, contraction de «pozz», puits en Corse et «ines» pour Alpines, sont de belles curiosités de la nature. Malheureusement, avec le manque d'eau de cet été, une bonne partie est vide et avec notre rythme de ''train à grande vitesse'', impossible de s'arrêter. Tant pis, on en trouvera bien d'autres à photographier. Puis, on enchaîne un long chemin jusqu'au refuge de Manganu, passant par une vallée où les arbres poussent de façon disparate, puis à nouveau une grande étendue herbeuse où les vaches ruminent. Que ce fut long, une des parties les plus longues de ce GR, mais nous voilà à Manganu.
12h, Ben commence à en avoir assez des repas lyophilisés et je dois avouer que je partage son ras le bol. On commande alors une omelette et du pain. Rien d’exceptionnel, mais cela suffit à nous changer du poulet curry. On garde notre rituel de la sieste et après quelques heures à recharger les batteries, nous voilà prêts à y retourner. Le matin à la station, j'avais vu que la météo des prochains jours se dégradait. Orage pour demain et pluie pour après demain. Ayant un col à plus de 2200m à franchir, il serait bon de demander la météo au gardien avant de reprendre le chemin.
ça dit quoi la météo, s'il vous plaît ?
ça ne devrait pas bouger, demain peut être.
Ok, donc on doit pouvoir continuer ?!
Oui, mais dépêche toi, tu es arrivé tard. »
15 h, nous reprenons notre sac, à chaque fois que nous le mettons sur le dos, ses quinze kilos nous scient les épaules. On commence l'ascension par la continuité de la plaine herbeuse et très vite le chemin monte dans un couloir entièrement fourni de pierriers et de blocs qu'il faut escalader. Sur la route, nous croisons un groupe et le premier randonneur m’interpelle.
Vous allez à Petra Piana ? Je comprends qu'il s'agit d'un guide.
Oui.
C'est loin vous savez ?
Oui on sait, on finira à la frontale si besoin.
Heureusement que ce n'est pas un jour orageux.
Oui, c'est pour ça qu'on à demandé au refuge avant de partir.
Ok, si vous savez à quoi vous en tenir alors. Bon courage.
à vous aussi !»
Au vu, de tous ces avertissements entre guides et gardiens de refuge, on comprend que le chemin est très fréquenté et visiblement souvent par des gens peu expérimentés. Malgré un chemin technique et physique, tout les ans, des hordes de marcheurs se jettent à l'assaut du mythique sentier. Et, pratiquement chaque année, une ou plusieurs personnes sont retrouvéesmortes ou sévèrement blessées. Nous avons de la chance sur notre météo, jusqu'ici le beau temps nous à suivi, y compris l'après-midi. C'est bien souvent l'erreur des débutants, partir l'après-midi sans regarder la météo et se retrouver en plein orage, sous la grêle avec une visibilité nulle et des risques de glissement de terrain ou d’électrocution. Sans parler de l'enneigement, même si les températures paraissent très clémentes au pieds du GR, il peut neiger abondamment l'hiver, laissant une épaisse couche de neige au printemps. Bref, si vous partez sur le GR20, sachez-le, il faut bien regarder les conditions d'enneigement et ne pas hésiter à questionner les gardiens de refuge sur la météo. Pour nous, tout est clair, j'avais regardé l'enneigement, qui était nul et j'avais suivi sur deux semaines avant de partir, les fluctuations météorologiques pour voir leurs évolutions en cette période. Mais malgré tout on reste sur nos gardes, tout peu changer brusquement.
On termine l'ascension par la magnifique brèche de Capitello et une fois au sommet la vue sur le lac du même nom est imprenable. À nos pieds le gaz et la roche qui créent un grand drapé gris,tombent droit dans l'eau. Le chemin continue vers l'est, sur une crête qui donne une belle ambiance, ça promet de beaux passages de grimpettes et à peine l'on reprend le chemin, qu'il faut mettre les mains, descendre sur environ 3 m une jolie dalle lisse par le biais d'une chaîne, puis reprendre quelques mètres à la main. Au fur et à mesure de nos pirouettes, on découvre diverses scènes. Les vaches posent tranquillement dans l'herbe fraîche, une bergerie se devine dans la pénombre et bonus ! des pozzines coincées entre deux roches. À l'horizon, les crêtes sont aussi impressionnantes, elles montent droit vers les cieux, effilées comme des lances. Enfin, on atteint le col de Bocca Muzzela et il nous reste plus qu'à descendre vers le refuge de Petra Piana. Au loin, à l'est, on aperçoit des nuages orageux monter sur la mer … heureusement ils sont loin.
19h30, on aimerait bien continuer, mais devinez ce que nous dit le gardien du refuge. On est rincés, on décide de rester ici et de prendre une bonne Pietra pour se récompenser.
05
Petra Piana - l’Onda - Col de Vizzavona
16 km / 1000m D+ / 8h
5h30, nous sommes les premiers debout et à peine réveillé nous prenons la route. Cette fois, on passe par l’alternative du GR, la voie principale passant par une grande descente dans la forêt,puis une remontée vers le refuge toujours dans la forêt. On se dit que le lever de soleil sera bien plus sympa depuis les crêtes. L'idée est bonne, les couleurs sont magnifiques et à nouveau, nous avons une vue de dingues sur la mer et les pics alentours.
En plus, pas un chat sur le sentier, on ne croisera personne à part un groupe de vaches posées dans l'herbe. On sent qu'il doit tout de même y avoir du passage, car les ruminants n'ont que faire de nous, voir même prennent la pose lorsque l'on prend des photos. Arrivés à un certain point, il faut toujours redescendre et une descente … c'est toujours long, très long, surtout quand le petit déj' nous attend au bout ! Qui plus est, Ben commence à sérieusement souffrir du genoux et ça ne présage rien de bon pour la suite, mais le mental tient.
8h30, le mental sera encore meilleur après le petit déjeuner du refuge de l'Onda. Pain, beurre, confiture, café, jus d'orange, une orgie ! On restera une bonne heure et demi requinqués comme jamais. Presque trop, dans la montée le pain et la confiture font de la marche arrière,mais très vite nous faisons bon usage de ces calories. 600 m de dénivelé positif et nous voici à la pointe de Muratello.
Ici nous croisons un groupe de trois filles qui commencent le GR. Parties de la gare de Vizzavona ce matin, elles prennent la direction du nord et, peu aguerries sur ce qui les attendent, elles nous posent quelques questions. Nos réponses n'ont pas l'air de les enchanter et on comprend qu'elles ne sont pas si habituées que cela à la montagne. Heureusement, elles ont le contact facile et j’imagine qu'elles sauront trouver du monde sur le chemin pour les aider. On sourit quand on les voit faire des sandwichs jambon/fromage et proposer des chips comme un bon pique-nique du dimanche en famille.
Va falloir prévoir plus léger les filles ! les supermarchés se font rares sur le GR ! On laisse nos trois randonneuses à leur pique-nique et en repartant, Ben qui discutait avec un randonneur croisé plus tôt, se procure auprès de lui un peu de baume du tigre. Pas bon ! C'est signe que la douleur augmente. C'est jamais cool de savoir son binôme souffrir, surtout quand on est aussi dur au mal l'un comme l'autre et que l'on a pas l'habitude de se plaindre.. Moi, pour l'instant je me porte comme une fleur … bon OK, fanée la fleur ! Ça fait deux jours qu'on a pas pris de douche et je pense que je passerais inaperçu au milieu de la faune locale, surtout des boucs !
13h30, encore une longue descente entre les dalles rocheuses. Grand bonheur, on trouvera plus bas, une succession de baignoires, dont l'une où nous passerons une bonne heure et demi à manger, se baigner, faire la lessive et bien sûr faire la sieste.
15h30, nous voilà au col de Vizzavona. Nous avons à nouveau pris une alternative pour nous éviter de redescendre au village du même nom. La suite n'est pas encore claire, Ben veut pousser un peu plus loin pour rattraper le retard et ce n'est pas une mauvaise idée, sauf qu'au nord on voit les nuages d'orage monter. On se pose à la terrasse d'une auberge et, tout en se délectant d'un diabolo fraise, on planifie la suite sur la carte. Un coup de tonnerre, puis deux autres, Benjamin reste optimiste «ça va passer.» Moi je ne suis pas rassuré à l'idée de bivouaquer sur un col, où potentiellement ça va se dégager, ou empirer.
Je convaincs mon acolyte de rester ici pour la nuit et de se faire un bon resto pour se remonter le moral. On aura d'ailleurs, ce qui doit être la meilleure entrecôte de vache de Corse. Le restaurant Monte d'Oro semble être un morceau d'histoire des montagnes corse. Accueillis par une octogénaire, on découvre une vieille bâtisse fondue dans la végétation. À l'intérieur, les murs croulent sous les tableaux venus de tous horizons, des livres d'antan se font jaunir les pages au soleil et lorsque Ben demande des anti-inflammatoire, la petite dame aux cheveux jaunes ouvre une armoire aux vitres brouillées, prête à craquer de ''médecines'' en tous genres. La crème offerte par cette dernière est périmée, mais dans le doute autant essayer. Sur la terrasse j'observe le balcon et je lis 1880 forgé dans le fer du garde-corps, en dessous la peinture jaune cloque et sur nos têtes la vigne vierge s'enroule autour des filins qui parcourent toute la terrasse. On voulait se coucher tôt, pour partir tôt ! Tant pis, il est 23h on se lèvera tout de même à 4h.
06
Col de Vizzavona - Capannelle - Prati
31 km / 1630m D+ / 10h
4h30, une longue journée s'annonce. On le savait, le monte Cinto va nous coûter cher, mais cela en valait la peine. On va donc devoir tripler demain, à moins que ce soir on puisse à nouveau pousser un peu plus ? Avançons ! Dans la forêt la lumière de la pleine lune ne perce pas la frondaison des hêtres. On avance de nouveau à vive allure, concentrés sur le halo que projette nos lampes frontales.
7h, le soleil pointe tout juste au-dessus des nuages et nous arrivons au col Bocca Palmente. Pause petit déjeuner. Ici on croise un groupe de trois «trailer» belges, puis dans la foulée un deuxième plus fourni les rejoint. Celui qui semble être le leader du groupe me demande de faire une photo et aussitôt prise, ils me remercient et reprennent la route, laissant le premier groupe toujours au même endroit. On écoute la conversation des trois derniers qui semblent pester contre ce leader ''égotripé'', ils n'ont pas du tout l'air dans la course, prenant le défi à la légère. Ben se dit qu'ils doivent bien avoir prévu quelques anti-inflammatoire. Par chance, l'un des trois, lui sort un sachet rempli de pilules blanches, l'un de ses collègues à visiblement une plaquette en rab et qui plus est, ils doivent finir le trek en 5 jours, donc demain. Tant mieux ! C'est peut être ce qui soulagera Benjamin pour la fin de notre trek. On les remercie et ils repartent quatre à quatre. Nous aussi on ne doit pas traîner, quelques photos et en avant.
9h, on a pas badiné et nous voilà à la bergerie de Capannelle. Ici encore pas de CB autoriséepour le paiement et cette fois on est vraiment juste niveau cash, en fait on dépensera nos dernières pièces en cafés allongés et parts de gâteaux. En plus de ça, il semblerait qu'effectivement nous étions justes sur les repas lyophilisés et il nous reste plus que deux repas chacun … Je m'en veux d'avoir oublié de retirer à l'aéroport, pressé de commencer j'ai sauté dans le taxi en me disant “ça va le faire, aujourd'hui de plus en plus de refuge prennent la carte” … on trouvera une solution !
10h, on repart de la bergerie le ventre plein et les poches vides. Encore 13 km de chemin plus ou moins plat et on devrait atteindre un relais au col de Verde. Ce dernier étant au bord d'une route principale, on se dit qu'il doit accepter la CB.
Depuis hier c'est le sud ! La végétation a changé et les pins Laricio ont laissé la place à une essence bien connue au Pays Basque, le hêtre. C'est magnifique et sur le chemin les cours d'eau et baignoires naturelles se succèdent à nouveau.
14h, nous voici au col de Verde, nous avons le ventre creux et à la bonne odeur de grillades que l'on sent, on se dit qu'on va avoir un sacré festin, s' ils prennent pas la carte bien sûr ! Devant son barbecue, un homme à l'air patibulaire nous dit bonjour et sur la terrasse les randonneurs ripaillent sévère. D'ailleurs, on retrouve nos trois Belges attablés avec quelques bières et de belles assiettes de viande. On commence à douter de leurs performances et de leursengagements, surtout qu'on ne les reverra plus jamais. On se retourne vers la devanture et là Ben me dit “regardes le signe” à quoi je réponds “putaiiiiiiin, c'est pas possible” ! pas de CB bien sûr. On vient de bouffer des kilomètres, Ben a le genoux au plus mal, les gouttes commencent à tomber et on va encore devoir se faire cet abject poulet curry qui baigne dans sa sauce ? Ça fout un coup au moral, pourtant rien de mieux qu'un bon repas pour faire passer un moment difficile. Après ce repas, il nous en restera plus qu'un et quelques bananes séchées.
15h, les repas sont avalés et Ben se préparer un bon cocktail pour son genoux, pommade,pilules anti-inflammatoire, strap, un vrai menu d'EHPAD ! En progressant dans la montée, les nuages deviennent de plus en plus menaçants et je ne suis pas rassuré à la vue de ces derniers bien chargés. Pas d'orage en vue sur les prévisions et rien d'alarmant, mais les choses peuvent vite changer. Ben ne semble pas en avoir grand chose à faire et ça me pousse à ne rien dire et continuer.
16h30, on a encore pas chômé et même si le départ fut un peu dur ce matin, on aura avalé ces 31 km en 10h. Nous voici au refuge de Prati et là, c'est la carambouille, la débâcle, plus de cash, les nuages sont de plus en plus denses et la pluie qui commence s'intensifie et bien sûr ilsne prennent pas la CB ! Quand on explique la situation au gardien, ce dernier visiblement “bas du front”, nous fait comprendre que ça lui en touche une, sans faire bouger l'autre ! Impossible de continuer le chemin, les crêtes seraient beaucoup trop dangereuses et glissantes.
Et là, trois personnes sortent des nuages et nous rejoignent sous la terrasse, notre abri de fortune où les gens riches peuvent marcher dessus. On ne parle pas, réfléchissant à une solution. L'un d'eux commence la conversation, on finit par expliquer notre situation et l'une des deux filles nous dit avoir réservé ici, mais qu'elle ne reste pas, car il n'y a pas de doucheschaudes. Pas de douches chaudes ? Ha ! tiens donc ! Si c'est ça le cadet de tes soucis ma petite, sois bienheureuse ! Par chance cette bonne âme nous propose de nous donner sa place, on insiste pour la rembourser mais rien n'y fait. Parfois, je crois que j'ai une bonne étoile qui me suit. Et de une ! Oui une, bien sûr le gardien n'a pas oublié que nous étions deux. On remercie la jeune femme qui repart sur le chemin et on se retranche dans la tente pour réfléchir.
La pluie tambourine sur la toile et Ben à la bonne idée, il suffit de prendre la dernière place sur le site du Parc Naturel Régional de Corse. Avec le peu de réseaux disponible on arrive à réserver une deuxième place et grande fortune, on aura même une toile de tente chacun. Niveau nourriture,on est sur la réserve, sur la fin même. Malgré notre aversion pour ce fameux poulet curry, c'est le cœur gros que l'on ouvre notre dernier paquet. Plus que trois bananes séchées et c'est la fin. Demain il faut trouver une solution coûte que coûte.
Comme un bon présage la pluie s'arrête et les nuages se dissipent, laissant le soleil nous gratifier des ses dernières couleurs. Nous rejoignons la colline qui surplombe le refuge et de là, nous prenons une petite demi-heure pour capturer les dernières lueurs.
07
Prati - Usciolu - Amatzala - Asinau
30 km / 1400m D+ / 12h
5h, départ habituel à la frontale. On ne sait pas de quoi cette journée sera faite, il nous reste trois bananes séchées chacun et du thé. Une longue marche sur crête nous attend et plus nous avançons, plus nos estomacs creux nous rappellent à l'ordre. Au col de Bocca di Laparo, le mental prend un coup, on a plus rien, on a faim et une belle montée se présente à nous. On a l'impression de reculer et mettre beaucoup trop de temps. Benjamin pense arriver au refuge à chaque ressaut et moi, je commence à m’énerver après le gardien du prochain refuge. C'est vrai que le ventre vide on délire, je me dis que ce n'est pas pour rien qu'on a autant de nourriture dans cette société. Affamez un peuple et il nourrira une révolte, gavez-le et il avalera sa colère avec ses petits pois carottes. Je me prends à penser “il va tout de même pas nous laisser dans la merde le prochain gardien ! C'est inadmissible de traiter les gens comme ça ! S'il nous aide pas je lui casse la figure à ce mec” !
9h30, finalement et contrairement à ce que l'on pensait, on a encore pris de l'avance sur le temps conseillé par la carte. Et, ce que je pensais être un gardien, est une charmante gardienne, qui bien sûr à la question “prenez-vous la carte bleue “? me répondit “NON”. Est-ce que je lui ai cassé la gueule ? Heureusement, la bonne étoile a continué de nous suivre et deux gars croisés plutôt, nous proposent de nous dépanner d'un peu de cash.
Vous voulez 50 balles ?
50 ?! “ Bon dieu “ oui, merci !
Viens Ben, on retourne à Prati prendre une bière !
Non, bien sûr nous sommes restés sagement ici, dévorant une tablette de chocolat et un demi paquet de pain de mie chacun. Et comme maintenant nous sommes riches ! On se paie le luxe d'un grand café. Nous voilà repartis comme en l'an 40 !
La veille, au vu de notre situation financière, j'ai appelé une bergerie sur notre chemin pour savoir s'il prenait la carte ?
ça fait 2 semaines qu'on a un problème avec la machine …
Ha, Ok, mais demain ce sera peut être réparé ?!
Non, je ne crois pas.
Ok.
Au pire, vous nous ferez un chèque que vous nous enverrez une fois chez vous … dit mon interlocuteur à mi-voix, pas vraiment ravi de la situation.
Ok parfait !
Le RDV est pris et cette fois on compte bien sur cette bergerie pour un bon repas plein de protéines. En plus les gérants semblent sympas et arrangeants.
On termine donc cette crête et on enchaîne sur un plateau avec quelques arbres. Le vent est absent et le soleil de midi nous écrase. Tels des ânes, on avance en voyant la carotte se rapprocher. La fatigue commence à peser, je n'entends plus Ben se plaindre de son genoux. Les crèmes, pilules et autres straps ont dû faire leur effet, mais je sais que la douleur est toujours présente. Moi qui allait bien jusqu'ici, commence à ressentir une douleur sous les pieds, comme des grosses ampoules qui se sont logées sous les talons. J'ai la sensation d'aiguilles qui me rentrent dans la chair, à chaque fois que je pose le talon.
14h, nous voilà enfin à la bergerie de Basetta et ce que l'on voit dans les assiettes nous ouvre l'appétit. On salue le personnel et je trouve la personne avec qui j'ai échangé par téléphone. Pas de souci, on va s'arranger ! Le staff est chaleureux et ça sent la bonne ambiance dans le groupe. Une entrecôte de vache plus tard et la myrte du patron dans les pattes, on est prêt à repartir. Je glisse la tête par la porte pour dire au revoir et le cuistot au gabarit imposant et à la bonhomie fort amicale me lance “Bonne route barbe rousse” ! On repart lourd, mais heureux !
18h30, nous avons dépassé le refuge d'A Matalza et traversé ce qui ressemble à des paysages de western. De grandes étendues plus ou moins arides, avec une longue piste 4x4 d'où le vent soulève au rythme des rafales, des nuages de poussière. Et, nous voici au col en dessous du Monte Incudine, dernière étape avant de descendre au refuge d'Asinau. De là on peut voir les fameuses Aiguilles de Bavella et quand je vois la radicalité du sommet, je me dis qu'on est bien trop crevé et qu'on a pas le temps pour se lancer dans une telle affaire. Qui plus est, le vent souffle très fort et je pense que ce serait dangereux. Heureusement cette fois, c'est Ben qui me propose de prendre l'itinéraire classique, évitant la variante aux aiguilles. Lui aussi est rincé et même si on touche à la fin, je sais que son genoux ne s'arrange pas. La décision est prise, demain on prendra l'itinéraire principal.
C'est la dernière nuit et celle-ci on compte bien la passer à la belle étoile. En arrivant au refuge, le gardien me hèle une première fois et je ne comprends pas bien si cela m'est destiné. Une seconde fois, je me retourne cherchant d'où provient l'appel.
Bonjour !
Bonjour.
Vous restez dormir ici ?
Non, on va continuer, je pense.
À cette heure ci ? C'est beaucoup trop loin et le bivouac sauvage est interdit.
Ha OK, on va voir alors.
Je rejoins Ben et je lui dis qu'il faut mieux se tailler rapido.
20h30, on a bien avancé d'une heure sur le programme de demain et on trouve une petite plate forme pour poser matelas et duvets. On mange les soupes glanées à la bergerie de Basetta et on ne tarde pas à dormir. Demain c'est la fin et on est plus que fatigués. Sur la réserve les types ! Dans la nuit le vent nous réveille. D'abord, il frappe fort contre les aiguilles juste au-dessus de nous, créant un bruit sourd et de plus il soulève les graviers de la plate forme où on se trouve. En me retournant, je prends des bourrasques pleines de gravier dans la figure, ce ne sera pas la meilleure nuit de notre trek, mais demain c'est la fin et ça nous fait tenir bon. Au-dessus de moi je distingue la voie lactée, je suis tellement crevé que je n'ai même pas la force de sortir mon appareil pour la capturer. Tant pis, ce sera un beau souvenir, rien que pour moi.
08
Asinau - Bavella - Paliri - Conca
25 km / 820m D+ / 9h
4h30, on touche au but ! Si on est bon, dans 10h on est à Conca. D'abord, une longue marche de nuit s'impose dans la forêt, je suis devant, le pas chancelant, je mène la danse tant bien que mal. Mal ! Mes talons me font mal, je ressens ces aiguilles qui s'enfoncent de plus en plus profond dans mes talons et je commence à ressentir la même douleur sous les gros orteils. Ben lui, se laisse distancer et c'est pas son habitude. Je suis sûr qu'il douille sérieusement, mais comme on est sur la fin, il ne dira rien. Je ne vais pas me plaindre, je suis encore bien, mais je crois qu'on est tous les deux sur la réserve … le fond de la réserve. Là encore, la lueur de la lune ne parvient que faiblement jusqu'à nous et soudain un bruit me stoppe net.
J'entends un animal sur la droite farfouiller dans les fourrés. C'est gros ! À trois mètres devant moi un sanglier traverse de droite à gauche, puis un deuxième plus petit celui-ci, mais cette fois il prend le chemin et me fonce dessus. Ben qui m'a rejoint me lance «attention ! ça charge !», merci j'ai vu, mais je fais quoi ? Je crois que le bestiau est aveuglé par ma frontale, je commence à courir en arrière et à mon premier mouvement, le sanglier opère un cul sur tête à la vitesse de l'éclair et s'évanouit dans les fourrés.
J'ai à peine eu le temps de comprendre ce qui venait de se passer, mais j'ai bien failli en prendre pour mon grade. Je reprends la marche doucement, bien moins chancelant qu'au début, mieux réveillé !
8h, on atteint le village de Bavella. Le vent souffle toujours aussi fort et continue de vrombir entre les aiguilles. Sans avoir petit déjeuner avant de partir, les estomacs grognent. Premier bar-restaurant et on saute sur les desserts. Deux cafés allongés et trois desserts chacun plus tard, nous voilà repartis à l'assaut du dernier refuge. Encore 18 km avant Conca et on sent que ça va être long … très long.
9h30, nous repartons décidés à ne pas s'arrêter pour déjeuner. On mangera une fois arrivés à Conca. Le chemin nous refait penser au premier jour de ce GR, les pins Laricio on repris la majeure partie du paysage et la sente de terre est facile et agréable. Au col, la vue sur la Méditerrané est splendide, mais on a pas le cœur à la contemplation, on veut finir !
11h, arrivés au refuge de Paliri. Ça fait du bien au moral, le dernier refuge, la dernière étape. Un coca et on repart, encore 13 km. C'est quoi 13 km sur 170 ? C'est long ! Ben m'avoue spéculer dans sa tête «donc, si ça fait 15 min que l'on marche et qu'on à 13 km et qu'on à … tais toi et marche» ! c'est à peu près ce qui se passe aussi dans ma tête, ayant le GPS en main, j'essaie de me projeter sur des temps à certains points, mais je suis trop crevé et rien ne correspond plus, alors moi aussi je fini par me dire «tais-toi et marche ! Bougre d'idiot». Le paysage est toujours aussi beau, mais il faut dire qu'après huit jours de pierriers qui glissent, de racines qui vous font trébucher, de rochers qui se lissent sur votre passage, chaînes, escalade … on en peut plus et la seule chose que l'on veut, c'est poser notre cul dans un siège moelleux et nos pieds dans des tongs !
13h, nous voilà au tout dernier col, la Bocca d'Usciolu, la délivrance ! Et même cette dernière demi-heure de descente est interminable, les pieds sont lourds, ils tapent dans les cailloux, glissent sur le gravier, Ben finit même par s'asseoir en plein milieu du chemin «je fais une pause» !
Ha ben oui, j'ai vu, mais t'es en plein milieu mon gars, bref, la fin ! À l'arrivée, une dernière source. Assise sur un banc en pierre, une dame semble méditer. Je lui lance un bonjour, suivi de Ben et cette dernière nous répond avec l'accent anglais.
Vous venez de finir le GR ?
Oui m'dame !
Bravo.
Merci.
Et vous, vous commencez ?
Oui, mais il fait trop chaud, je vais attendre un peu.
Mais il est déjà 14h ?
J'ai ma tente, je me poserais où je veux.
Vous savez que le bivouac et les feux sont interdits» ?
Ben oui, fallait bien rendre la pareille :)
Conca
14h30, arrivés dans une auberge de la ville, on demande s'ils servent encore ? Non, cuisine fermée, décidément ce sera rude jusqu'au bout. Tant pis, on fait un festin de glaces et de menthe à l'eau. En attendant le taxi, je parcours la bibliothèque et je trouve un vieux Trek Magazine qui parle du GR20. Ils y décrivent la beauté du chemin, mais aussi sa technicité et en conclusion, le rédacteur nous informe que ce GR serait non seulement le plus dur d'Europe, mais aussi l'un des plus difficiles au monde !!!
Nous, on appelle ça une bonne balade entre potes !
Au retour du GR20, j'ai utilisé mon expérience sur le terrain pour établir une carte claire et précise. Dans le design minimaliste qui caractérise la maison Léon, vous retrouverez les informations essentielles au bon déroulement de votre GR20. Profil altimétrique, traces GPS, détail des étapes, des liaisons et des alternatives, le tout tient dans votre poche !
Papier 90 gr, format 10 x 15 cm fermé - 60 x 45 cm ouvert, poids 20 gr