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L’Anéto

par le port de Venasque

Distance 35 KM | Dénivelé + 3200 m | Temps 3 j


Nous aurions pu mettre beaucoup moins de temps, parcourir beaucoup moins de kilomètres et gravir beaucoup moins de dénivelés. Seulement Jérôme, petit fils d'émigrés Espagnols, souhaitait traverser le port de Venasque (Benasque, en espagnol), col où sont passés de nombreux réfugiés de la guerre civile espagnole et notamment ses arrières grands-parents. Cette guerre civile opposa nationalistes et républicains de 1936 à 1940, se terminant par la victoire des nationalistes qui établiront une dictature «L'Etat espagnol».

 
Jérôme sur le chemin des boums de Venasque

Jérôme sur le chemin des boums de Venasque

 



Ça faisait déjà un moment bien-sûr, que j'avais en tête de gravir ce petit «Everest» pyrénéen. Lorsque je dis à Benjamin et Jérôme, «Cette année, je fais l'Anéto», pas d'hésitation, la cordée à été complète de suite. Jérôme avait déjà eu l'occasion, d'en faire l'ascension lors d'une fin d'hiver. Malheureusement la neige encore abondante, obligea son guide à renoncer à l'itinéraire qui devait passer par le port de Venasque.

Cette fois-ci, en plein mois de juillet, pas de crainte niveau neige. Me voilà donc fin juin, traçant l'itinéraire qui commencera à l'Hospice de France, en passant par le port de Venasque, le refuge de la Rencluse, le sommet de l'Anéto, redescendant par la vallée de Vénasque et revenant sur nos pas. Une bien jolie bambée qui nous fera parcourir environ 35 Km et gravir près de 3200 m de dénivelé positif sur trois jours. 

Avec presque 30° impossible de resister au bleu des boums

Avec presque 30° impossible de resister au bleu des boums


Première étape : Hospice de France au port de Venasque. Voilà donc un chemin historique qui a vu marcher des milliers de réfugiés Espagnols. (Sur le site www.recurut.eu vous pourrez trouver un bon résumé des passages migratoires entre l'Espagne et la France.) Aujourd'hui, les réfugiés ont laissé place aux touristes et l'Hospice de France n'accueille plus que des randonneurs affamés et assoiffés qui fuient une vie «trop» confortable. Depuis le point de départ, la sente qui s’élève vers le lac est impressionnante. Enclavée dans un fond de vallée étroite, on chemine sur 6 km en suivant le cours d'eau qui prend sa source dans les trois «boums» de Venasque (mot Béarnais qui signifie lac).

Ces lacs sont la première pause que nous prendrons. Quelques photos, un bain et une pause casse-croûte, il est un peu plus de 14 h et il nous reste encore du chemin avant d'arriver à notre point de bivouac. Notre point de bivouac ? En voilà une bonne question, «Ce qui serait bien, ce serait de dormir au portillon supérieur, pour prendre de l'avance pour demain matin sur ceux du refuge» nous dit Jérôme.

Benjamin appréhende la suite

Benjamin appréhende la suite

Pendant que Jérôme remet ses Blundstones

Pendant que Jérôme remet ses Blundstones

Après un bref regard sur la carte, le point donné semble bien loin, mais nous marchons, nous avons encore tout l'après-midi, les conditions sont bonnes et nous avons tout ce qu'il nous faut dans nos sacs.

Nous quittons le boum le plus haut en direction du port de Venasque. Le chemin se rétrécit au fur et à mesure que nous prenons de l’altitude et le «gaz» devient de plus en plus présent. Il faut dire que sans le génie du général républicain, ce flanc de montagne ne serait pas aussi accueillant, car ce sont ses troupes qui ont formé les murets de pierres sur lesquels nous pouvons aujourd'hui marcher.

À l'époque où l'armée Napoléonienne occupait l'Espagne, Napoléon ordonna l’aménagement du col afin que les mules puissent passer plus facilement. Au fil du temps le sentier aux multiples lacets, a été entretenu par les acteurs du lieu, contrebandiers, passeurs, troupes armées, etc… à mesure que l'on approche du col, le vent se fait ressentir et le paysage se dégage.


Les multiples lacets qui mènent au port de Venasque

Les multiples lacets qui mènent au port de Venasque

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«Vous êtes pas prêts les gars ! Vous allez voir le massif de la Maladeta depuis le col, c'est impressionnant» nous dit Jérôme.


Le passage en lui-même a quelque chose de grandiose, c'est un étroit couloir comme creusé dans la roche, le vent s'y engouffre avec force et vous fait sentir tout petit, comme dans le creux d'une main de géant. Ensuite, on bascule du côté espagnol et le paysage vous met une claque, la vue sur le massif de la Maladeta est impressionnante, on domine la vallée de Venasque, on aperçoit le refuge de la Rencluse et surtout, on peut admirer les deux géants et leurs glaciers, la Maladeta et l'Anéto.

Depuis le Port de Venasque, cette fameuse vue sur le massif de la Maladeta. Avec tout En haut à droite de la photo l’Aneto du haut de ses 3404 m.

Depuis le Port de Venasque, cette fameuse vue sur le massif de la Maladeta. Avec tout En haut à droite de la photo l’Aneto du haut de ses 3404 m.

Malgré la chaleur et le bel effort déjà fourni, la vue du plus haut sommet pyrénéen nous redonne de l’entrain et nous reprenons la route pour descendre jusqu'au parking de la Besurta, départ de nombreuses cordées depuis le côté espagnol. Nous descendons environ 600 m sur un peu moins de 5 km, accessible en voiture ou par bus, le parking accueille une «faune» de tous âges et de toutes conditions physiques.

Préférant la tranquillité de l'altitude, nous ne nous attarderons pas. Cela fait maintenant un peu plus de 4 h que nous marchons et nous commençons à ressentir la fatigue, mais nous voulons dormir tranquilles et seuls, nous décidons donc de grimper le plus possible et aussi pour prendre de l'avance sur le lendemain.

Avant de trouver notre lieu pour bivouaquer, un repas avec vue, au-dessus du refuge de la Rencluse

Avant de trouver notre lieu pour bivouaquer, un repas avec vue, au-dessus du refuge de la Rencluse

Nous prenons le chemin pour le refuge de la Rencluse, que nous partagerons avec de nombreux randonneurs. Arrivés à ce dernier une pause s’impose, mettre les pieds dans le torrent, remplir les gourdes et vérifier l'itinéraire qui, à partir de ce point devient un peu plus compliqué. Pour accéder au glacier de l'Anéto, il faut franchir ce pierrier géant sans perdre son chemin. Plusieurs traces le jalonnent, mais il est parfois très difficile de se repérer. Le portillon supérieur qui paraissait facilement accessible, semble être de plus en plus loin à mesure que la fatigue nous submerge, mais nous continuons tout de même bon gré, mal gré. Sur le chemin un groupe de 6 isards nous fait observer une pause. Ils semblent à peine perturbés par notre présence, habituellement, ils détalent et sont hors de vue en quelques secondes. Cette fois, les caprins s'arrêtent et nous regardent, j'ai le temps de sortir le téléobjectif et prendre quelques photos.

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Le spectacle fini, nous continuons cette fois à la recherche du bon endroit pour poser nos duvets. La fatigue se fait sentir, Jérôme veut s’arrêter depuis un petit moment, mais Benjamin pousse la cordée toujours plus loin. Il est temps de trouver un compromis. Sur une petite plateforme herbeuse, nous trouvons notre bonheur. Nous dominons la vallée de Venasque et nous observons un magnifique paysage déchiqueté par les hauts sommets et les crêtes environnantes. Nous avons marché sur 15 km environ en 9 h et pris pratiquement 2000 m de dénivelé positif. Nous posons les duvets sur les matelas et profitons des dernières lumières du jour. Dans le silence retentissent des craquements sourds et impressionnants qui proviennent des glaciers. La journée a été chaude et la température tombe rapidement, provoquant des mouvements importants dans la glace.


Quand la fatigue attaque Jérôme

Quand la fatigue attaque Jérôme

La crête qui sépare la Maladeta du glacier de l’Aneto

La crête qui sépare la Maladeta du glacier de l’Aneto

Les couleurs du couchant vers le pic de la Sauvegarde

Les couleurs du couchant vers le pic de la Sauvegarde

4h30, le réveil sonne et le soleil est encore loin derrière l'horizon. Un café, un morceau de barre énergétique, quelques photos des étoiles et sans échanger beaucoup de mots nous reprenons notre périple. Comme à chaque fois dans ces conditions, les esprits sont brumeux et nous ne parlons presque pas, seulement pour s’informer du chemin à suivre. Si de jour le chemin est déjà difficilement repérable, je vous laisse imaginer de nuit. Je prends les devants, GPS en main et même avec l'aide numérique, je dois m'arrêter à plusieurs reprises pour vérifier la direction. Benjamin est un peu plus réveillé et toujours plus réactif que moi pour trouver le chemin. Nous atteignons enfin ce fameux portillon supérieur, sorte de bascule entre cette muraille de pierre et le début du glacier de l'Anéto. Les premiers mètres de neige crissent sous nos pas, nous sommes en plein mois de juillet et même sur le glacier les températures sont élevées.

4h30

4h30


Après 2 h de marche, le soleil commence tout juste à donner quelques couleurs, le glacier devient de plus en plus pentu et malgré la faible consistance de la glace et le chemin tracé par des centaines de randonneurs, nous décidons de chausser les crampons. Nous avons encore une bonne heure et demi devant nous avant d'atteindre le sommet. Comme à chaque fois, les couleurs du levant et le blanc du glacier forment un magnifique tableau. À l'approche du sommet, la pente se raidit et l’oxygène se raréfie, nous progressons, le souffle haletant et le pas lent. Nous atteignons enfin la partie finale, le manque de neige nous force à retirer les crampons, il n'y a plus que quelques mètres pour atteindre l'Anéto. Le temps semble se dégrader avec le lever du soleil, les masses d'air chaud créent de forts coups de vent, poussant les nuages venus du sud.

Le début du glacier

Le début du glacier

Après 2h de marche depuis le portillon supérieur

Après 2h de marche depuis le portillon supérieur

Au fond à droite le sommet de l’Aneto

Au fond à droite le sommet de l’Aneto

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Nous sommes balayés par de fortes rafales et la visibilité se réduit. Une dernière épreuve se dresse sur le chemin, le pas de Mahomet, une petite crête courte et étroite qui donnera du fil à retordre à ceux qui ont le vertige. Les nuages et le vent n'arrangent rien et lorsque l'on commence à franchir le pas, malgré la faible visibilité, on ressent le «gaz». Par moment, les nuages se retirent et laissent apercevoir le vide, ce qui rajoute à l'ambiance, pour qui n'est pas habitué. On dit que celui qui passe la pas de Mahomet est un homme pur, visiblement Benjamin a des choses à se reprocher !!!

Le pas de Mahomet juste avant le sommet

Le pas de Mahomet juste avant le sommet

Certains passages requiert de s'asseoir

Certains passages requiert de s'asseoir

la fameuse croix de l’Aneto

la fameuse croix de l’Aneto

8 h, nous commençons la descente, nous avons déjà 3h de marche derrière nous et plus de 900 m de dénivelé positif. Pour le retour, Jérôme veut nous faire passer par un autre chemin, un chemin qu'il emprunta avec le guide en hiver.

Nous descendons donc, droit vers le nord en direction de la moraine, là où la glace a formé un étroit creuset, lit du torrent qui gonfle à mesure que la journée se réchauffe. Nous avions déjà emprunté ce genre d'endroit sur le glacier d'Ossoue et dans mes souvenirs les passages étaient parfois délicats. Ici aussi, certains passages demandent de l'attention, la glace ayant creusé et lissé la roche, il y a parfois peu de prise pour les mains et la moindre glissade peut engendrer de vilaines blessures. Quelques frayeurs, mais tout se passe comme prévu. La fin de la moraine se transforme en un parcours étroit et sableux, avec d'énormes rochers au-dessus de nos têtes, qui peuvent tomber à tout moment. Etant trop près de Benjamin, mon pied glisse et entraîne un énorme cailloux, qui roule droit vers la jambe de Ben. J'ai à peine le temps de crier «attention» que ce dernier sans rien voir de la scène, a le réflexe inattendu de retirer sa jambe du chemin. Lorsque l'on est fatigué et que l'on manque d'attention, la montagne vous rappelle toujours à l'ordre, ne jamais rester collés les uns aux autres lorsque le terrain est pentu.

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La descente en direction de la moraine sur le glacier de l’Aneto,

La descente en direction de la moraine sur le glacier de l’Aneto,

Nous arrivons enfin dans le fond de la vallée de Venasque. Cela fait environ 5 h que l'on marche et nous sommes déjà bien fatigués, mais il nous faut encore continuer, au moins jusqu'au parking de la Besurta, où nous souhaitions passer la nuit sur les hauteurs.

La vallée est magnifique et Jérôme nous promet une jolie découverte, celle du Trou du Toro. Nous continuons la descente le plus possible, afin d'atteindre les plaines en contrebas. Une nouvelle pause est de rigueur, nous venons de descendre près de 1300 m, il est plus de 11 h et nos jambes commencent déjà à nous signaler une bonne fatigue.

On trouvera un joli bosquet de pins au milieu des étendues herbeuses. Un nouveau repas lyophilisé, une baignade dans le torrent glacé et surtout une grosse sieste à l'ombre.

La vallée de Benasque

La vallée de Benasque

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Nous repartons à la recherche de ce fameux Trou du Toro. À peine 30 min de marche et nous y voilà. Cette curiosité géologique est constituée d'une cascade qui se déverse dans une immense baignoire où l'eau transparente plonge sous terre et réapparaît au niveau du Pla de Beret, vallée voisine, située dans le val d'Aran. En contrebas la végétation ressemble à celle des tropiques et l'eau transparente s'écoule doucement vers ce trou que l'on ne peut voir. Nous continuons et nous parlons beaucoup moins qu'à l'aller, il semble que nous avons laissé nos cerveaux là-haut, nous marchons par automatisme et il va être temps de monter le camp pour de bon. Encore une petite heure et nous voilà sur les hauteurs de la Besurta. La veille, nous avions repéré un coin tranquille où se poser pour la nuit, avec la vue sur la Maladeta et le coucher de soleil sur la vallée de Venasque. Il ne faut pas longtemps pour que nous nous mettions dans les duvets, qui plus est, nous nous lèverons à nouveau aux alentours de 5 h pour ne pas revenir trop tard. Un énième repas lyophilisé, que l'on n'arrive plus à encadrer et nous tombons dans le sommeil comme des masses.



 
Le trou du Toro

Le trou du Toro

 


5 h, nous reprenons machinalement notre route. Pour moi partir de nuit à plusieurs avantages, tout d’abord, on évite la chaleur de la journée, ensuite, on arrive au sommet ou sur les hauteurs pour profiter des belles couleurs et en plus de cela, ne voyant pas la suite du chemin, on subit beaucoup moins le temps, on marche machinalement sans se dire «vu ce qu'il y a devant ça va être encore long…», à peine 1 h après notre départ nous voilà de nouveau au port de Venasque. Cette fois, nous profiterons de la tranquillité et du panorama pour prendre nos petits déjeuners. Sur un bout de rocher, nous montons un camp de fortune, les gars se remettent dans les duvets et moi, je parcours les alentours pour shooter les premières couleurs de l'aube. On a bien dû passer une heure et demi à admirer le massif de la Maladeta et le lever du soleil.


L’Aneto avant le lever du soleil

L’Aneto avant le lever du soleil

Le petit déjeuner au port de Venasque

Le petit déjeuner au port de Venasque

Il nous reste 2 bonnes heures pour redescendre. À mesure que le jour avance, les randonneurs affluent vers le port de Venasque. La vue du côté français est belle elle aussi, on domine les boums et leurs couleurs bleues qui nous appellent, il est un peu moins de 8 h et le soleil commence déjà à bien chauffer. Nouveau stop au refuge de Vénasque, un café, une crêpe beurre sucre et surtout un bon décrassage dans l'un des lacs. Nous voilà frais pour la meilleure partie de la randonnée, le restaurant «post-bambée». Aux alentours de 10 h 30, nous voilà revenus à la voiture, le parking de l'Hospice de France est déjà plein, lors de la descente nous avons croisé bon nombre de randonneurs. Voilà que notre périple s’achève, non seulement, nous avons fait l'ascension du géant des Pyrénées, mais nous avons pu aussi nous rendre compte des difficultés rencontrées par les réfugiés espagnols au temps de la guerre civile.

 
Les trois boums de Venasque

Les trois boums de Venasque

 
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