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MAROC
01 _ La ville de Marrakech
02 _ L’ascension du Djebel Toubkal
03 _ le désert d’Agafay et le retour à Marrakech.
01 _ La ville de Marrakech
Mes deux amis d'enfance, Pierre et Xavier partent une semaine avant moi pour faire l'Iron Man de Marrakech. Xavier, venu avec sa famille, a prévu de repartir le lendemain de mon arrivée et Pierre m'a proposé de rester une semaine de plus pour «voir du pays». Après quelques recherches sur le Net, je tombe vite sur l'ascension du Djebel Toubkal et sur le désert d'Agafay. Le programme est bouclé, visite de Marrakech, trek dans l'Atlas et baroud dans le désert.
Je descends de l'avion aux alentours de 22h, j'achète une carte sim locale et une bouteille de Ricard au duty-free. Premier taxi et première arnaque, en discutant avec les gars, je me rends compte que j'ai payé trois fois plus cher qu'eux et en plus j'étais seul, j'avais oublié que tout se marchande ici.
On se retrouve sur le toit du riad loué par Pierre et Xavier, il fait encore chaud mais la fraîcheur de la nuit commence à tomber, elle sera courte cette nuit et le réveil difficile. Nous ne nous sommes pas vu depuis longtemps et ma bouteille ne verra pas le soleil se lever. Dans la nuit, les abus des retrouvailles me réveillent, j'étouffe dans cette pièce où l'air ne circule pas et la couverture rêche n'arrange rien. Tant pis, je prends la couverture et je vais dormir sur le toit, au moins je respire l'air frais ici et je tombe rapidement dans un profond sommeil, si profond que même le muezzin ne me réveille pas et c'est la voix de Xavier, prêt à partir qui me tire de mes rêves. Les yeux collent et je peine à les ouvrir, les gars se foutent de ma gueule et à part le pic-vert qui creuse son trou dans mon crâne, je ne comprends pas grand chose. La première vision de Marrakech sera floue.
Xavier, Angélique et Diégo nous saluent une dernière fois et prennent la direction de l'aéroport dans le taxi crème. Nous, nous partons visiter celle que l'on surnommera plus tard à juste titre, Arrnakech. Tout d’abord, nous changeons de logement et nous découvrons par la même occasion la médina.
«Viens, je sais où est ton hôtel ! Me dit un type dans la rue.
Je ne t'ai pas donné l'adresse, comment peux-tu savoir ?
Mais viens je te dis, moi je suis d'ici je connais et puis par là-bas s'est fermé.
Non merci, j'ai mon GPS ça va le faire.
Non mais le GPS il se trompe toujours, viens je te dis !»
Difficile de dire non et de ne pas jouer le jeu, il faut imaginer que les Marrakchis vivent dans une ville remplie de touristes 365 jours par an. Donc, forcément, lorsqu'on voit débarquer des milliers de touristes, les poches remplies d'oseille, on veut sa part du gâteau. Mais là le gars nous prend vraiment pour des cons, à la troisième fausse adresse où il nous mène, je décide de prendre les devants, il le prend mal.
« Et ho! C'est toi le guide ?
Non mais je crois que j'ai trouvé.»
Je l'entends grogner dans mon dos, mais je ne lâche pas mon rythme de marche soutenu qui le tient à distance. J'arrive enfin devant la porte, je frappe, notre « guide » me rattrape, suivit de Pierre et du porteur de valises.
«Tu fais quoi ? C'est pas là !»
Son regard est dur et il me regarde droit dans les yeux avec insistance. Je suis rarement énervé et je déteste perdre mon énergie dans ce genre de situation, mais là, on m'a ouvertement pris pour un con, j'ai sincèrement envie de lui en mettre une. La porte s'ouvre et Kamal en nous voyant nous demande,
« Adrien ?
C'est bien ça !»
Malgré l'évidence de sa mauvaise foi, notre « guide » ne lâche pas son regard dur et nous demande sa rémunération. Nous négocions, fixons le prix et chacun repart de son côté.
Le riad de Kamal et Rabia est nickel, on a le droit au traditionnel thé à la menthe dans la cour intérieure. On va passer du bon temps dans ce riad, au calme de l'agitation extérieure, le lieu est propice au repos et les échanges avec nos hôtes sont instructives. On commence par reprendre nos esprits devant notre thé. On entend de la musique qui nous parvient des étages supérieurs, un mélange de traditionnel et de rap à l'accent local, le soleil laisse tomber ses rayons sur le sol et passant entre les feuilles, crée des moucharabiehs naturels rappelant ceux de l'architecture locale.
Nos deux prochains jours seront principalement dédiés à flâner dans les souks de la capitale touristique, ponctués par des couscous, thé à la menthe, tajines et pâtisseries orientales. On mène la grande vie sans stress, pour Pierre, c'est un repos bien mérité après une belle performance sur l'Iron Man, pour moi la détente après des mois de travail. Dans les ruelles, nous n'avons pas le temps de faire dix mètres sans être accostés par des énergumènes souhaitant nous vendre toutes sortes de merveilles, du savon, des bijoux, des maillots de la NBA, de la chnouf par-ci, de la chnouf par-là. C'est amusant de remarquer les dealers qui vous glissent dans le creux de l'oreille, de très discrets, mais très audibles, «shhhhhit !». Pour une oreille nouvelle, on ne les entend pas, couverts par le vacarme du souk et plus on s'habitue aux bruits, plus on commence à percevoir ces petits démarchages illégaux. Le ciel est bleu, le soleil brille et la température frôle les 30°, la viande suinte aux crochets des bouchers et l'odeur de la peau de chèvre flotte dans l'air.
Il est temps de partir vers les montagnes, nous faisons justement nos provisions au souk, achetant fruits secs, graines et pâtisseries bourrées de miel et de sucre qui se conserveront longtemps et, une bouteille de gaz de 500ml ! Quatre fois plus que les bouteilles que l'on utilise habituellement pour le bivouac, pourquoi cette taille ? Pas d'autre choix, y'a que ça, au moins on a la possibilité de se perdre, on a de quoi tenir des mois avec ça, suffit de trouver une chèvre et quelques plantes sur le route à faire griller. J'avais pas l'intention d'alourdir mon sac avec ce genre d'arme lourde, mais tant pis on a pas le choix.
Maintenant direction les taxis collectifs, nous nous dirigeons vers la rue Oqba Ben Nafaa où ils sont tous stationnés. Nous devons attendre, car pour l'instant nous sommes les seuls dans le taxis, soit on part maintenant, mais on paie le prix fort, soit on attend que notre chauffeur trouve d'autres clients pour faire baisser le prix. À peine trente minutes et il trouve un couple de Marocains qui feront la route avec nous jusqu'à Asni. Direction Imlil, village départ de la randonnée, le contraste entre les rues grouillantes de la médina et l'extérieur de la ville est assez impressionnant. La route se retrouve vite bordée de grandes plaines interminables, ça fait du bien, on a l'impression de reprendre son souffle, l'odeur de l'air est neutre et il n'y a personne pour vous haranguer tous les dix mètres.
On mettra un peu plus de deux heures pour rejoindre le village. Sur la route, on alterne entre milieux désertiques et petits villages de campagne. Nous croisons aussi de belles scènes de vie, le monsieur sur sa mobylette, sans casque, clope au bec, avec un sac plastique à son guidon, une femme avec derrière elle, ses enfants, un jeune homme qui se balance sur une chaise en plastique, en nous regardant passer et plusieurs petites échoppes remplies à craquer, de produits de première nécessité, qui s'entassent jusqu'au plafond. Une bonne heure de route passe et nous commençons à voir les lignes de crêtes se dessiner, la brume thermique crée des calques dégradés marquant chaque altitude. Nous arrivons à Asni, nous déposons le jeune couple et de là, nous démarrons l'ascension vers le cœur de la vallée. L'étroite bande de bitume qui semble posée sur la terre poussiéreuse, commence alors, à se courber de droite à gauche, sinuant tel un serpent entre les contreforts de l'Atlas. Le paysage se ressert, le soleil et l'ombre créent de forts contrastes sur les flancs des montagnes.
02 _ L’ascension du Djebel Toubkal
Nous arrivons à notre hôtel, le Riad Atlas Panorama, la vue de la terrasse plonge sur le village d'Imlil, l'air est frais nous avons perdu une bonne dizaine de degrés, à seize heures, nous sommes déjà à l'ombre. Imlil se situe à environ mille sept cents mètres d'altitude, entouré d'un massif montagneux, dont le point culminant, le fameux Djebel Toubkal, atteint environ quatre mille cent soixante mètres d'altitude. Notre hôte nous offre le thé à la menthe de bienvenue, c'est un homme de taille moyenne, très discret, qui parle lentement, ça fait du bien de retrouver des gens posés, après l'agitation de la grande ville. On se pose sur la terrasse pour admirer les dernières lumières du jour, le paysage et les bruits de la montagne, quelques chants d'oiseaux, la rumeur du torrent en contrebas et le bruissement des feuilles dans le vent. Nous sommes fatigués et le froid nous saisit, demain, nous nous levons tôt pour rejoindre le guide. Nous prenons notre tajine à l'hôtel et remplissons le registre de ceux qui vont faire l'ascension du Djebel Toubkal.
Depuis l'affaire des deux jeunes assassinés au pied du Toubkal, par un soit disant Islamiste, les autorités locales on prit des mesures pour « sécuriser » la randonnée, demandant à chaque marcheur de remplir les registres et d'avoir sur eux une pièce d'identité, qui leur sera demandée à chaque point de contrôle.
Le soleil commence tout juste à dessiner le contour des crêtes, que nous avons déjà nos sacs sur le dos, direction le petit-déjeuner. Plusieurs pains azymes avec du miel maison, un œuf dur et un café, nous sommes d'attaque. Nous rejoignons Mohamad, notre guide, au départ d'une petite route boueuse sur les hauteurs du village. Nous attendrons pour partir, ce dernier nous a trouvé un groupe de trois Russes, avec qui nous allons pouvoir partager les frais et même avoir un muletier pour le même prix. On n'a pas besoin de mule pour porter nos sacs, encore moins de Russes, mais il semble de bonnes mœurs de faire fonctionner l'économie locale et comme à Marrakech, chacun veut sa part du gâteau. Va pour la mule, on ne va pas rechigner à s’alléger et pour les Russes ça devrait le faire, se sont des taiseux ces gens-là ! Bon, ce Russe-là parle bien anglais et s'intéresse à nous, il chante et il a même eu la gentillesse d'amener une enceinte portative. Discuter de nos pays respectifs et de nos expériences reste intéressant, en revanche la techno soviétique dans les montagnes marocaines, j'avoue que j'ai un peu de mal.
Heureusement, nous sommes plus en forme qu'eux et nous aurons souvent l'occasion de les distancer, appréciant le calme de la montagne. Calme, mais pas tant que ça, nous passons par la voie classique du Toubkal qui est, depuis le milieu du vingtième siècle, une randonnée « accessible » très empruntée tout au long de l'année. Nous croisons donc plusieurs groupes de randonneurs accompagnés de leurs guides. Je mets « accessible » entre guillemets car, effectivement aucun problème technique n'est à prévoir sur le parcours, pas d'encordement, pas de glacier, pas d'escalade, mais tout de même un sacré dénivelé positif cumulé et une bonne longueur puisque, la première journée cumule mille cinq cents mètres de dénivelé positif sur une distance de dix kilomètres et le lendemain c'est neuf cents mètres qu'il faut monter, sur seulement quatre kilomètres et pour finir on redescend jusqu'au village d'Imlil dans la même journée, encaissant deux mille quatre cents mètres dans les genoux. Donc pas technique, mais physique pour qui n'est pas préparé et éprouvante, pour qui supporte mal l'altitude.
Nous arrivons au niveau du village d'Aremd et nous devons présenter notre passeport au premier poste de contrôle. Ce n'est donc pas une blague, nous n'aurions pas pu passer sans guide, qui plus est, plusieurs personnes nous ont avertis du coté « cow-boy » des autorités marocaines, visiblement ces derniers n'hésitent pas à utiliser la force et les pots-de-vin sont courants. Nous sommes dévisagés de la tête aux pieds, avec un regard sec et noir et nos noms sont inscrits dans un énième registre. Nous avons le droit de continuer, nous traversons les derniers vergers de pommes avant l'ascension. La terre est aride et on remarque qu'il y a de grandes différences entre les producteurs, certains ont visiblement assez d'argent pour irriguer correctement leurs terres, donnant de beaux vergers bien verts et d'autre peinent à conserver un sol de qualité, donnant des vergers en perdition. À travers les pommiers, le chemin est encore plat, mais ça ne dure pas, arrivé au fond de la vallée le chemin s’élève d'un coup et se rétrécit, par endroit, il y a juste de quoi passer une mule. Le paysage change lui aussi, il devient plus sec, hormis le cours d'eau en contrebas et quelques genévriers, le reste n'est qu'un grand pierrier, mais pas tout gris comme chez nous, rouge ocre et ponctué par les quelques touches de vert des plantes grasses qui poussent parmi les cailloux. Le ciel bleu et le soleil nous accompagnerons tout le long de la randonnée et malgré l'altitude ça commence déjà à chauffer, on passe de la doudoune au tee-shirt.
Avant d'arriver à Sidi Chamarouch, nous nous arrêtons aux deux petites bicoques de part et d'autre du chemin. L'une tient un stand avec du jus d'orange maison et des boissons gazeuses, c'est dingue de voir du Coca jusqu'au pied du plus haut sommet de l'Atlas. On prendra un jus d'orange maison, qui a bien meilleur goût que les fadaises américaines, Mohamad lui, prend son thé à la menthe et nous en offre un, il est mal venu de refuser le thé et qui plus est, il est bon. D'un air grave, notre guide nous explique que l'assassinat des deux jeunes s'est passé ici, juste là, où nous nous tenons, il nous raconte tout en détail, jusqu'à l'arrestation du meurtrier. On n'avait pas forcément envie de connaître tous les détails, mais visiblement cet événement les a profondément affectés, alors on écoute sans broncher.
Nous reprenons la route et nous arrivons ensuite à Sidi Chamarouch le dernier village avant le refuge, reconnaissable par son sanctuaire où un énorme rocher a été totalement peint en blanc. À cet endroit, reposerait le corps du roi des Djinns, qui donna son nom au village.
Les djinns sont des créatures surnaturelles, issues des croyances païennes de l’Arabie préislamique.
Les Marocains viennent de tout le pays pour s'y faire « guérir », on y traite la stérilité féminine, les rhumatismes et les maladies spirituelles. Hormis ce sanctuaire, on y trouve deux/trois maisons et des « bars/restaurants ». Mohamad nous fait observer une nouvelle pause et nous comprenons qu'il est de bonne augure de prendre un petit quelque chose à chaque arrêt, de faire fonctionner le business de ce petit monde, qui vit principalement de l'ascension du Toubkal.
On repart, le soleil est au zénith et les estomacs commencent à avoir faim, pourtant nous attendrons une bonne heure avant de recroiser le chemin d'une énième et dernière cahute pour déjeuner. En marchant, Mohamad nous demande où nous séjournions avant d'arriver à Imlil. Nous lui répondons Marrakech et d'un sourire moqueur, il nous lance « Ha ! Marrakech … Arrnakech ! » et il rit. il avait tout juste ! Ce sobriquet restera dans notre mémoire tout au long du voyage. Les Russes prennent le couscous maison et moi, je sors mon obus de gaz pour nous faire chauffer la popote. Le rythme de l'ascension est lent, on monte tranquillement et on prend le temps de boire et manger à chaque pause. Ici, les gens sont issus de la grande tribu berbère et ne parlent pas très bien le français, ils font pourtant l'effort d'échanger quelques mots, on rit, un peu gênés des incompréhensions et on détourne chacun notre regard pour admirer le paysage.
Ce sont des générations et des générations de Berbères qui ont vécues dans cette vallée et qui ont été les premiers à fouler le sommet du Djebel Toubkal, bien avant le marquis de Segonzac en 1923. Et ce fut vérifié par les « kerkours » retrouvés au sommet, des tas de pierres liés aux superstitions religieuses, formés par les Berbères.
Dernière ligne droite avant le sommet, rejoindre le refuge des Mouflons où nous allons passer la nuit. Malgré le gain d'altitude, le paysage reste encombré par les pentes raides qui nous entourent, il faudra vraiment attendre l'ascension finale pour voir l'horizon se dégager et distinguer les villes et déserts au loin.
Nous arrivons au refuge en début d'après-midi, ce qui nous laisse le temps de récupérer, faire une sieste, regarder les photos de la journée et prendre une douche. Périlleuse la douche, entre eau chaude, eau froide, changement de débit et pour poser les affaires, un unique crochet ou serviette et caleçon se battent pour avoir la place. La vapeur d'eau remplit vite la mini pièce, aérée par l'unique lucarne et humidifie serviette et caleçon. Mais quelles que soient les conditions, après six heures de marche et 1500m de dénivelé, la douche est largement appréciée et pour être honnête, je ne pensais même pas y avoir le droit. Finalement le repas du soir arrive vite, car il faut se coucher tôt, nous partons à cinq heures demain matin. On patiente tranquillement dans la cour en attendant que le couscous soit prêt. L'ombre a déjà engloutie la vallée et la température commence à baisser, on ressort les doudounes et on va marcher sur les petites pentes alentours pour se réchauffer. L'heure est à la contemplation du paysage, une bande de nuages s'invite, planant au-dessus de la vallée, créant de jolis contrastes avec le soleil couchant et les masses de coton prennent de jolies couleurs.
18h30, l'odeur du couscous commence à nous chatouiller les narines et nous rentrons au refuge. Nous déposons d'abord nos sacs de couchage dans le dortoir et descendons au réfectoire. Ici, ça braille dans tous les sens, nos voisins Espagnols fidèles à leur réputation, dépassent largement le volume sonore autorisé et ne laisserons pas un silence passer, nos amis Russes eux, on l'air de bien se marrer aussi, mais ils ont au moins la décence de fermer leur « goule » quand ils mangent. Comme d'habitude après la marche, je tombe dans mes rêveries et avale ma soupe, puis mon couscous sans broncher d'une oreille, je m'imagine au plus haut de la montagne, la vue dominant tout ce petit monde, le silence, la lumière du matin et l'odeur des plantes qui sortent de leur sommeil et puis une tranche de pain. Ce sont les amis soviétiques qui me tirent de mes rêves, en me tendant le pain.
Il ne doit pas être plus de 21h, que déjà plusieurs groupes montent dans les dortoirs. Le soleil n'est pas couché depuis très longtemps, mais grâce à la faible pollution lumineuse, les étoiles sont déjà bien visibles. J'en profite pour prendre quelques photos avant de me coucher. Ha ! Le dortoir, en voilà une autre raison de préférer les bivouacs solos ou entre copains, il y en a toujours un pour empêcher l'autre de dormir à cause de ses ronflements. Et qui est-ce qui ronfle et qui parle en dormant ? Nos amis espagnols ! Décidément, même dans leur sommeil les mecs ont peur du silence. J'ai dû tenir presque deux heures entre demi-sommeil et yeux grands ouverts, j'ai fini par prendre le matelas, qui heureusement n'était pas fixé au « sommier » et j'ai établis mon campement dans le couloir. Une faible lumière au fond de ce dernier me dérange pour m'endormir et les vas-et-vient des autres randonneurs pour aller aux toilettes, me réveille de temps en temps. Ce ne sera pas un sommeil réparateur, mais au moins, je serais reposé juste ce qu'il faut.
4h, encore une courte nuit, mais malgré le peu de sommeil je suis bien éveillé et j'ai hâte de grimper. Les groupes se lèvent progressivement et nous nous préparons en attendant le petit-déjeuner. Doudoune, gants, bonnet, pantalon … pantalon ? Impossible de mettre la main dessus, pas la peine de chercher trois heures, je l'ai forcément oublié. Tant pis, l'ascension se fera en short. Au petit déjeuner plusieurs personnes me pose la question.
«Tu montes en short ?
Oui.
Ha oué ! Gaillard le type !
Non du tout, étourdi ! J'ai oublié mon pantalon à Biarritz…
Ha merde, t'en veux un ? J'en ai un en rab.»
Même les Russes auront pitié de moi, mais s'il y a bien deux choses que je déteste, c'est la pitié et dépendre des autres, ce sera en short, point. Le petit-déjeuner a un peu trop tardé à mon goût, on ne part que vers 5h, 5h15, il va falloir marcher vite pour arriver aux premières lueurs du jour. Devant nous, il y a déjà plusieurs groupes qui ont pris le large, la file indienne de lampes frontales ressemble à un gros serpent lumineux. Il y a du monde sur cette petite sente et il est difficile d'accélérer le mouvement, il faut par endroits, mettre les mains et on ne peut pas se croiser. On avance donc lentement, cul à cul et pour couronner le tout, nos amis russes nous ont remis leur techno des Balkans, chantant en cœur pour se donner de l’entrain. Je n'avais pas vraiment cette conception de l'ascension, heureusement après un kilomètre le chemin se fait de plus en plus large et il devient possible de se dépasser. Mohamad a vu qu'on montait au ralenti et qu'on aimerait bien passer la seconde, il nous dit de prendre les devants et nous autorise à aller jusqu'au sommet seuls.
On passe devant plusieurs personnes assises, reprenant leur souffle, certains semblent avoir du mal a respirer et feront demi-tour, c'est un peu le problème des sommets « accessibles », sans difficultés techniques, beaucoup pensent pouvoir le faire, mais monter au-dessus de 4000m demande un minimum de condition physique et de matériel, certains grimpent en chaussures de ville… Voilà maintenant une grosse heure et demi que nous marchons et les couleurs de l'aurore commencent à apparaître. Au nord, Marrakech scintille entre chien et loup, au sud, on commence à deviner les douces courbes des dunes sahariennes. Le dernier kilomètre demande un bel effort et à la vue de la sculpture pyramidale, caractéristique du sommet, les sourires apparaissent sur le visage des randonneurs. Voilà maintenant un peu plus de deux heures que nous sommes partis du refuge et nous atteignons le sommet, tout juste au moment ou le soleil pointe ses premiers rayons.
Le spectacle est mémorable. Au nord, s'étendent les plaines désertiques, la capitale touristique toujours scintillante, de petits monts qui créent de beaux contrastes et la brume thermique qui commence déjà à jouer de ses nuances de couleurs. Lorsque l'on tourne progressivement la tête, du nord en passant par l'est, jusqu'au sud, on tombe sur les premiers contreforts de l'Atlas, puis les profils déchiquetés des hauts sommets et comme un atterrissage en douceur, on finit par les dunes du Sahara qui semblent détendre les lignes abruptes des montagnes. En continuant vers l'ouest, ce sont les parois rocheuses proches du sommet qui tombent à pic, vers le chemin en contrebas, créant de fabuleux contrastes, entre la pierre éclairée par le soleil levant et les ombres profondément noires. Le soleil semble embrasé tout autour de nous, je suis marqué par la radicalité et la diversité graphique de cet environnement, c'est un pur bonheur pour la photographie et je rêverais d'y monter régulièrement.
Ça fait une bonne demi-heure que nous sommes arrivés et le vent souffle doucement depuis que le soleil s'est levé. Malgré mon bon équipement, le manque de pantalon se fait ressentir et je dois marcher de long en large sur le sommet pour me réchauffer, la température doit être autour des 0° et le ressenti dû au vent, doit bien descendre en dessous des -5°. Un couple de Savoyards nous entendant parler Français, s'approche de nous et nous propose un coup de génépi, « Pour nos petits Français ! » Comment refuser un coup de Genep' sur le plus haut sommet de l'Atlas ! Je reprends mon shoot photos et Pierre m'annonce qu'il redescend, il ne se sent pas très bien, mal de crâne, envie de vomir, jambes en coton, je me dis qu'après un Iron Man et une telle ascension, c'est bien normal et puis après réflexion et à la vue des symptômes, ça me semble être le mal des montagnes. Malheureusement, au-dessus de 3500m, même le génépi, ne cure pas ce genre de choses, il faut redescendre, pas d'autre remède.
Pour moi, ce sera la redescente forcée par le froid aux guibolles, il faut que je me bouge si je ne veux pas avoir les orteils congelés. En descendant, je découvre le paysage que la nuit avait recouvert de son épais manteau noir, de grandes parois abruptes aux couleurs ocres, qui font rêver à de grandes voies d'escalade. Il n'y a plus grand monde sur le chemin, certains ont été contraints de redescendre sans voir le sommet, les autres justement, s'y attardent. Des oiseaux qui ressemblent à nos choucas, frôlent les parois en planant , faisant résonner leurs cris. J'arrive enfin au mince filet d'eau qui sépare le début du chemin au refuge. Je retrouve Pierre qui a repris un peu de force, mais ce n'est pas la grande forme, il retrouvera ses jambes au fur et à mesure de la descente.
Le contrat est rempli, nous sommes allés au sommet, le lever de soleil était magnifique et j'ai eu la chance de prendre de beaux clichés. Il nous reste plus qu'à redescendre vers Imlil où nous passerons une dernière nuit avant de retourner à Marrakech.
Retrouver la carte et les “tips” sur l’ascension du Djebel Toubkal,
dans le guide Haize édition spéciale Maroc
03 _ Le désert d’Agafay et le retour à Marrakech
S'en suit une journée imprévue à la grande Arrnakech, car suite à l'ascension du Toubkal, nous devions continuer le trek dans la vallée d'à côté, mais Pierre ne se sentant pas bien, on a préféré le repos. Il nous restait trois jours devant nous et la seule activité prévue était la visite du désert d'Agafay, sans date, sans tracé et sans logement. On replonge donc dans l'activité incessante de la grande ville, j'en profite comme toujours pour photographier les jeux de lumières et les scènes que nous offrent les souks.
En passant devant un coiffeur barbier, Pierre m'arrête et me propose de nous faire couper les cheveux, nous décidons de jouer les midinettes. Nous voilà sur deux vieux fauteuils de barbier, avec en fond sonore la télé qui gueule en arabe. Pour ce qui est de la coupe de cheveux impeccable, rien à redire, la barbe, pas mal non plus, mais c'est surtout la manière de faire qui pique, puisque à la place de la mousse à raser, j'ai droit à du gel … Oui, du gel ! Celui que certains se mettent dans les cheveux pour les faire tenir. Je ne suis pas une princesse, mais « bon dieu » ça tire ! J'imagine que la mousse à raser coûte plus cher que le gel. On sent bon, on est rasés de près, tout va bien.
On continue en s’arrêtant aux bains pour profiter des vertus du savon noir et des massages. Pas de chance, le bain en question, qui semblait prisé par les touristes est complet, mais notre hôte n'a pas dit son dernier mot, il appelle son frère qui a lui aussi un bain dans son hôtel. Pour le business, le Marrakchi a de la ressource, il a toujours une solution pour te faire acheter ce dont tu as envie. Nous voilà donc à marcher dans les ruelles de la médina qui semblent inconnues du grand public. On n'y croisera aucun touriste et au bout de dix minutes, on se demande où il nous emmène. Finalement, on arrive dans un beau riad, à l'écart des bruits et de l'agitation des rues, avec une piscine au milieu de la cour, ça change de l'attrape touriste que l'on visait en premier. Une plantureuse marocaine nous emmène dans ce qui semble être les sous-sol du riad et nous arrivons dans une sorte de petite cave pleine de vapeur d'eau où l'on respire les bonnes odeurs d'huiles essentielles. Un peu plus d'une heure après, nous ressortirons de la cave à moitié endormis, mais pour une fois, ce ne sera pas dû au gibolin, mais aux bienfaits des bains marocains.
Il y a des décennies de cela, l'eau courante et la salle de bain étaient absentes de la maison marocaine, les bains étaient alors le lieu où l'on allait pour se laver, mais aussi pour se retrouver. Aujourd'hui, ils sont surtout prisés par les touristes, car chaque maison à sa salle de bain, mais cela reste un patrimoine ancestral hérité des thermes romains et que ce soit dû aux touristes ou aux locaux eux-mêmes,il est bon de garder cet héritage vivant.
Finalement, l'agitation de la ville nous saoule rapidement et de retour au riad on échafaude les plans du lendemain. On appelle pour louer une voiture et sans plan, ni logement nous irons droit vers le désert d'Agafay et puis si le vent nous y porte on roulera jusque dans les montagnes de l'Atlas. Voilà comment notre séjour va se terminer, entre paysages désertiques et montagnes. On roule une bonne heure pour atteindre le village d'Agafay qui se tient aux portes du désert. Déjà les dunes entourent le village et nous nous arrêtons près de l'une d'elle, nous la gravissons et depuis ce mirador de fortune, nous avons une magnifique vue sur le désert et l'activité du village. On restera un petit moment à observer ce qu'il s'y passe. Une femme semble revenir de nulle part avec un panier sur la tête, des enfants sortent d'une rue en criant et en courant les uns après les autres et un vieux monsieur regarde la scène assis sur sa chaise. Le temps semblent avoir bien moins d'emprise que dans notre monde occidental, mais ce n'est certainement qu'une illusion.
Nous continuons notre route vers nulle part au volant de notre voiture, qui d'ailleurs, est bien trop récente pour se fondre dans la masse. À chaque fois que l'on sort de la voiture, on nous dévisage, pas avec de mauvaises intentions, mais j'imagine qu'entre la voiture et nos gueules de blancs-becs, il y a marqué « touristes » sur nos fronts. Pierre a la peau mate et la barbe noire, ce qui à Marrakech, lui vaut parfois d'être pris pour un local revenu de France, moi en revanche, impossible de mentir, entre la peau blanche et la barbe rousse, rien à faire, tout le monde me prend pour un Irlandais ou un Anglais. Mais ici, on ne se sent pas convoité par chaque regard, les gens vous jettent un coup d'oeil curieux, comme on le fait tous aux nouveaux arrivants et repartent à leurs activités.
Nous aussi nous repartons à nos activités, nous bifurquons à gauche, sur une route qui mène droit au cœur du désert. Pas une maison à l'horizon, aucune âme qui vive, ce n'est pas un grand désert et nous aurons vite fait de le traverser, mais l'expérience et tout de même belle. J'ai toujours trouvé que les déserts avaient une force méditative. Pour certains, c'est simplement un enchaînement de dunes ennuyeux, pour d'autres, c'est une raison de se retrouver, de réfléchir ou justement de ne pas réfléchir et de laisser sa raison, marcher ou rouler juste à côté de soi. L'expérience du rien, du vide, ou chaque rencontre, un arbuste, une carcasse de voiture, une chèvre devient une épiphanie qui vous montre à quel point la simplicité peut être belle et suffisante. Nous avons mis un peu moins de quarante-cinq minutes pour rejoindre la grande route qui mène aux montagnes et nous bifurquons à droite sur cette dernière, laissant nos pensées et certainement une partie de nos âmes, errer dans le désert d'Agafay.
Les profils montagneux commencent à se manifester et la route, très sinueuse offre à chaque virage, de magnifiques paysages. Quelques nuages viendront augmenter les contrastes des montagnes, on sillonne d'abord le fond de vallée dessiné par des années de pluies torrentielles, puis la route s’élève et le soleil joue à cache-cache à chaque sortie de virage, dévoilant des baraquements abandonnés par-ci, des échoppes par-là et toujours des scènes de vie sorties de nulle part. On croise un monsieur en djellaba blanche, une famille qui semble revenir des courses et au bout d'un virage, un vieux Van bleu apparaît, la lumière et les pans de montagne donnent un magnifique cadre pour capturer ce viel engin. Après une bonne heure de route, nous atteignons le village d'Ijoukak et à la vue du panneau Agadir, on se dit qu'il est temps de redescendre vers le lac de Ouirgane, où nous passerons notre dernière nuit dans l'Atlas. Le lendemain, nous continuerons de profiter de ces paysages et nous rentrerons tranquillement à Marrakech.
C'est notre dernier jour. Nous dépensons nos derniers dirhams et nous visitons la maison de la photographie, il y a de magnifiques tirages de photographes locaux qui ont capturés les déserts, mais aussi la ville, avant le boum touristique. On constate que la relation de cette terre à la lumière et l'ombre est depuis toujours présente, les souks sont d'éternels jeux de contrastes, les déserts offrent des paysages singuliers où la déformation thermique signe chaque cliché et les montagnes forgent des panoramas graphiquement riches. Nous terminons la journée au riad, sur le toit de ce dernier, le ciel est totalement dégagé, le soleil se couche et les couleurs deviennent chaudes. Une nuée d'oiseaux danse de droite à gauche, avec l'Atlas pour fond, l'odeur des tajines vient nous chatouiller les narines et les rires des enfants jouant en contrebas dans la cour, montent jusqu'à nous. D'ici, nous dominons une belle partie des toits de Marrakech, j'en profite pour prendre mes derniers clichés.
L'Atlas, est un magnifique terrain de jeu et les Berbères sont des gens calmes, généreux et bons. Marrakech est un bouillon de vie, avec une histoire dense et la ville semble remplie d'un million d'âmes, qui incarnent chaque facette du pays. Les couleurs, les lumières, les odeurs donnent au Maroc une singularité immuable qui intrigue le badaud depuis longtemps et qui vaut le coup d'être découvert. Je reviendrais dans l'Atlas, les paysages, le calme et surtout le profil désertique donnent une vertu fort méditative à ces montagnes.
Marocain, garde ton âme orientale et continu de faire les poches à cet occident un peu trop prétentieux qui voudrait te donner la leçon. Ton patrimoine n'a pas à rougir et ton caractère ne doit pas s'éteindre.