2.16 Cabane de Besse
Distance 13Km | Dénivelé +1110m | Temps 4h/6h30
à retrouver dans Haize vol.2
Benjamin revenait tout juste de Chamonix, il devait être près de 15h et nous l'attendions, Jérôme et moi, sur le parking de l'aéroport de Biarritz.
J'avais envie de nous mettre en difficulté, pourquoi ? Certainement parce que je commence à avoir confiance en cette cordée. Donc, nous partons de Biarritz, le soleil se couche vers 19h30, nous avons 2h de route jusqu'au village d'Eaux-Chaudes et pour rajouter à l'ambiance, la tempête fait rage. Une bonne tempête hivernale qui met en alerte les stations météo et oblige l'état à déconseiller fortement les activités en pleine nature.
Sur la route nous prenons le temps de nous arrêter pour manger et faire le plein pour le soir. Comme à son habitude, Ben est parti à l'arrache. J'ai prévu une bonne partie de son sac qu'il alourdira volontiers avec du pain, du pâté et des gâteaux «suédois».
17 h, nous arrivons à Eaux-chaudes. La neige tient tout juste à cette altitude, mais lorsque l'on regarde au-dessus, c'est beaucoup plus sérieux, le manteau neigeux semble dense.
17h40, nous prenons le pont d'Enfer pour rejoindre le village de Goust, la luminosité commence déjà à faiblir, nous traversons le village endormi et à sa sortie nous empruntons une route non dégagée. Au bout, une maison semble isolée par la neige, sa cheminée crache tout doucement de petits moutons blancs. Le silence règne et le temps semble être hors-jeu. On passe à côté de la bâtisse et en voyant ce monsieur lisant tranquillement dans son fauteuil avec vue sur Goust enneigé, je m'imagine dans quelques années à sa place. Mais pour l'instant c'est l'aventure qui nous attend.
Quand je dis, nous mettre en difficulté, je ne dis pas en danger. Mais créer juste assez d'inconnus et d'inconfort pour apprécier chaque moment agréable que nous vivrons. Comme manger, se reposer, se réchauffer. Nous ne sommes pas partis à l'assaut d'un 3000 en pleine tempête, non. Mais j'ai volontairement semé quelques embûches sur ce qui serait en temps normal une simple balade. Et c'est grâce à l'expérience acquise ces dernières années que je me suis permis de partir dans cet «inconnu», sans vraiment évaluer le temps de randonnée, sans même avoir repéré la cabane sur le GPS et sans savoir si la neige aurait ou non ensevelie la cabane. Mais j'étais confiant, quoi qu'il arrive avec ces deux camarades, je sais que l'on trouvera une solution et qu'il y en aura toujours un pour pousser et veiller sur les autres.
La neige prend en épaisseur, on a par endroit 30 à 50 cm de poudreuse et pour l'instant les flocons tombent en grésil fin. J'ai déjà mes raquettes aux pieds, les gars attendent encore pour les mettre. Nous arrivons sur le plateau de Lusque, ici le manteau neigeux devient très important. J'ouvre la marche et pour mes premiers pas sur le plateau, je m'enfonce jusqu'aux genoux et quasiment à la taille par endroit. Cette fois les gars sont obligés de chausser leurs raquettes et notre progression est considérablement ralentie. En prenant la direction du col de Lusque, nous passons par un sentier qui forme un balcon surplombant Goust, la vue est belle. Je laisse les gars partir devant et je m'arrête admirer ce petit village qui s'évanouit à mesure que la lumière baisse. Le grésil fin se transforme en grosses plumes duveteuses et la nature semble étouffer le moindre bruit, le temps s'est arrêté.
Soudain un hurlement me tire de ma rêverie, je reconnais Jérôme imitant le cri du loup, comme s'il voulait réunir sa meute, il hurle. J'attends que le silence se fasse et lui répond, nous échangeons deux ou trois séries de hurlements qui raisonnent dans la vallée, avant d'arrêter pour rire de notre bêtise. Je me remets en marche et, profitant des traces déjà faites, j'accélère pour les rattraper, à ce moment-là, la nuit tombe rapidement et finit par nous engloutir.
Pour l'instant, nous sommes à l'abri dans la forêt et plus haut, au bout des houppiers, nous entendons le vent faire rage et plier les cimes. Heureusement que le GPS est précis, nous marchons plus ou moins sur le chemin, le rattrapant par moment tout en repérant par endroit les traces rouges et jaunes de la rando de la vallée d'Ossau. À la sortie du col de Lusque, le chemin se trouve plus exposé au vent, une pente abrupte plonge devant nous jusqu'aux ruisseaux en contrebas, à ce moment précis le vent décide de redoubler. La combinaison de la neige qui tombe en abondance et du vent, créent un fort blizzard. J'ai le téléphone en main et malgré le GPS j'ai du mal à repérer le chemin, je ne vois que des troncs d'arbres et des flocons qui passent devant la lumière de ma frontale, s'illuminant brièvement. Ben aperçoit finalement les traces rouges et jaunes et nous reprenons le chemin.
Ça commence à devenir long, nous sommes fatigués et rêvons tous les trois au feu de bois dans la cabane. Devant moi, le sac de Ben me nargue avec son pâté et le pain en évidence dans le filet extérieur. Je salive à l'idée de mettre une «branlée» à ces derniers et de m'allonger doigts de pieds en éventail devant le feu. Malgré la température extérieure qui, accentuée par le vent doit largement passer en dessous de zéro, je suis en tee-shirt sous mon coupe-vent et sue à grosses gouttes. La neige est toujours très épaisse et la progression est rude, on doit fournir un bel effort pour avancer. Le sac de Ben est recouvert d'un petit manteau blanc qui tient par le froid, le pâté sera bientôt congelé … doux Jésus, pourvu qu'il y ait du bois dans cette cabane.
«Et s'il y avait tellement de neige que la porte soit ensevelie !
T'y a pensé à ça ? Me disais-je.
Beeeeen non … couillon va !
Ça veut dire redescendre toute la nuit ?
Ou, réussir à creuser avec quelque chose ?
Et si la cabane entière était ensevelie et que seul le toit dépassait ?
Avance ! On est presque arrivés et quoiqu'il arrive il y aura toujours une solution».
Screenshots vidéo issu du teaser Haize vol.2
Photos ©Benjamin Fabre
Enfin, nous atteignons les ruisseaux, j'avais bien repéré une série de cours d'eau que nous devions traverser et ce, sans savoir si il y avait des ponts, quelles étaient leurs largeurs ou leurs profondeurs. Finalement aucun pont et parfois des passages un peu larges, difficile de trouver les bons endroits pour passer et parfois le pied qui semblait être un bon appui se dérobe sous la couche de neige qui cède sous le poids. C'est comme ça que Ben, au troisième ruisseau, finit dans l'eau jusqu'aux genoux, j'essaie tant bien que mal, de le rattraper et finalement j’aggrave la situation. Pris au piège entre ses raquettes coincées dans les cailloux du cours d'eau et moi qui le retient, il peine à se redresser. Il m'ordonne de le lâcher, je m’exécute et il réussit à se relever traversant le cours d'eau pour rejoindre l'autre rive. Moi-même, à cet endroit j'y laisse les pieds, l'eau remplit mes chaussures et à chaque pas qui suit, je sens le flic-floc de l'eau dans mes pompes.
Nous franchissons encore deux autres ruisseaux et arrivons enfin au début du plateau de Besse. On touche au but ! Mais je me rend compte que je n'ai pas repéré la cabane sur le GPS. Je m'arrête pour la chercher et remarque qu'elle est un peu plus loin que ce que je pensais.
«On y est les gars!
Dans 30 minutes on est au chaud !
T'as déjà dit ça y’a une heure…»
On commence tous les trois à être fatigués, mais on sait qu'il ne faut pas laisser les nerfs prendre le dessus. Je commence à avoir les doigts de pieds gelés, Ben aussi se plains de sa condition post ruisseaux. La progression est toujours compliquée, je dirais même plus compliquée encore. Une bonne montée nous fait les pieds, la neige est toujours abondante et l'exposition du plateau au grand vent n'arrange rien. Et puis la crainte de cette cabane ensevelie ressurgit dans ma tête lorsque j’aperçois une forme pyramidale sortir tout juste de la neige, en m'approchant je me rend compte qu'il ne s'agit que d'un rocher, la pression redescend. Notre «chef de meute» décide de prendre les devants, en ayant vu approximativement sur le téléphone la trajectoire à prendre, Jérôme part à l'assaut de la cabane créant les traces pour la dernière ligne droite. Après quelques minutes, je l'entend crier et taper sur de la tôle.
«Comment est la porte ? Lui criais-je.
Dégagée ! Y a du bois ! Elle est top cette cabane !»
Tout à coup le sourire revient et mes pieds me font moins mal.
Une fois rentrés, c'est notre «chef feu» qui prit le relais, à peine le sac posé, Ben saute sur le bois et me demande aussi sec mon briquet. Ni une, ni deux, le bois se met à crépiter dans l'âtre et rien qu'au bruit du feu, nos corps semblent doucement reprendre vie. On se pose dans les chaises à moitié démontées, mais toutefois confortables pour nos corps fatigués et on se remémore le chemin. Les gars se foutent de ma gueule quant à l'évaluation du temps. Je leur avais promis une rando de 2h/2h30 nous avons mis 4h/4h30 … arrivée à 22h.
Les réchauds s'allument et nous célébrons le mariage du pain et du pâté. Les chaussettes, chaussures et autres vêtement se réchauffent au coin du feu. Certains pendouillent sur le fil, d'autres tout à côté du feu pour un séchage rapide…très rapide…trop rapide. Affairés à manger et un peu hagard par l'effort fourni, on ne remarque même pas les chaussettes en train de brûler. Quelques semaines plus tard, j'ai même découvert qu'une partie de mes chaussures avait fondue. Heureusement, Ben n'est pas prévoyant sur grand-choses mais sur la «bouffe» et les chaussettes, je ne peux rien dire ! Grâce à lui, j'aurais demain les pieds au sec dans des chaussettes.
Enfin, le meilleur moment des nuits en cabane arriva. Le café fume dans les tasses, j'ouvre ma flasque de rhum et verse quelques gouttes dans la tasse de chacun, une petite lampée à même la flasque pour être sûr de bien dormir et le silence se fait. Les yeux mi-clos, on regarde le bois se consumer doucement, dehors, le vent continue de darder son souffle. À chaque bourrasque, de petits flocons de neige tombent depuis les interstices mal comblés du toit, nous dormirons sous la «mezzanine».
Le lendemain, le temps s'est quelque peu amélioré, la neige tombe en petits flocons éparses et le vent s'est pratiquement arrêté. Nous avons dormi très longtemps et nous repartirons plus tard car nous n'avons pas du tout envie de quitter cet endroit. Nous voulons prolonger ce moment, une partie de franche camaraderie entre bons vivants. Vers 13h nous commençons à redescendre, relevant les endroits où nous avons eu des difficultés la veille et prenant le temps cette fois de faire photos et vidéos. Nos raquettes se transforment vite en mini skis, on s'amuse à glisser dans les pentes et à courir tête la première, ravis de tomber dans la poudreuse.
Plus nous descendons et plus la température remonte, la neige colle et la belle poudreuse devient petit à petit une neige lourde et humide. Nous arrivons à Eaux-Chaude, il est presque 16 h et nous sommes affamés, nous terminerons notre périple à La Grotte. J'avais le souvenir d'une bonne tartiflette, accompagnée d'une raclette en plein été, après avoir fait le tour des lacs d'Ayous avec Pilou. Les cuistots finissent tout juste de manger, nous prenons une bière en attendant qu'ils nous servent et nous repartons sur les coups de 17h, bien calés, d'une tartiflette et d'un magret de canard.
La tempête s'est arrêtée.
Retrouvez l’itinéraire de la cabane de Besse dans le Haize vol.2